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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 08:49

Alors que les lampions du dernier Sommet de l’Union Africaine viennent à peine de s'éteindre (Sommet au cours duquel la CPI a fait l’objet de tirs groupés pour son "acharnement" contre les leaders politiques africains), la juridiction pénale internationale permanente fait encore parler d’elle en rendant deux importantes décisions. Prises par la Chambre préliminaire I de la Cour respectivement le 31 mai et le 3 juin 2013, elles concernent les affaires Le Procureur c/ Saïf Al-Islam Kadhafi et Abdallah Al-Senoussi d’une part et Le Procureur c/ Laurent Gbagbo d’autre part. Certes, les deux affaires étant à des phases de procédure différentes, il est quelque peu malaisé de les traiter ensemble mais la Cour, dans un cas comme dans l’autre ayant décidé de rester saisie de ces dossiers (sur des motifs bien évidemment différents), il devient alors intéressant de s’interroger sur les motivations de la haute juridiction, ceci à la lumière du Statut de Rome, des faits des différentes causes et des accusations de "chasse raciale" dont elle fait l'objet.

I. QUE DIT LE STATUT DE ROME ?

1. L’affaire Kadhafi et la problématique du principe de complémentarité

L’affaire Kadhafi, au stade actuel, pose le problème de la mise en œuvre du principe cardinal de la complémentarité, lequel est au cœur même du système judiciaire pénal international institué par le Statut de Rome. Conformément à ce principe, la CPI n’est compétente pour une affaire que pour autant que l’Etat sur lequel les crimes graves ont été commis n’a pas la volonté ou les moyens de poursuivre les auteurs. En d’autres termes, si un Etat met en mouvement son appareil répressif, la Cour, en principe, doit se limiter à un rôle de spectateur. Si tel n’est pas le cas et que la Cour fait de « l’acharnement judiciaire », l’accusé, la personne à l’encontre de laquelle un mandat d’arrêt a été délivré, l’Etat compétent à l’égard du crime, peuvent demander à la Cour de s’abstenir de se prononcer sur l’affaire (voir les articles 17 et 19 du Statut de Rome), notamment en soulevant une exception d’irrecevabilité. C’est ce qu’ont fait les autorités de Libye dans l’affaire Saïf Al-Islam.

Sauf que la Cour n’est pas que spectateur ; elle est aussi arbitre. C’est à elle qu’il revient d’apprécier si un Etat a la volonté ou la capacité de mener véritablement les poursuites nécessaires. Elle s’assure par là que la procédure interne ne vise pas simplement à soustraire l’accusé des filets de la justice par une parodie de procès ou encore que les conditions sont réunies pour que la procédure puisse être conduite avec toutes les garanties du procès équitable. Si, de son avis, tel n’est pas le cas, elle peut se saisir d’office de l’affaire et l’Etat en cause a l’obligation de coopérer avec elle.

2. L’audience de confirmation des charges dans l’affaire Gbagbo

Pour ce qui est de l’affaire Gbagbo, celle-ci est déjà à la phase de l’audience de confirmation des charges. Ici, l’article 61 (1) du Statut de Rome dispose que dans un délai raisonnable après la remise de la personne à la Cour, la Chambre préliminaire tient une audience pour confirmer les charges sur lesquelles le Procureur entend se fonder pour requérir le renvoi en jugement. Il s’agit de dire s’il y a suffisamment d’éléments de preuve justifiant l’ouverture d’un procès en bonne et due forme contre l’accusé. A l’issue de cette audience, la Chambre peut confirmer les charges (ce qui ouvre la voie à un procès sur le fond), ne pas confirmer les charges (l’accusé est ainsi libéré) ou ajourner l’audience en demandant au Procureur de revoir sa copie (une nouvelle audience de confirmation des charges doit alors se tenir dans un délai raisonnable).

II. QU’EN EST-IL PRECISEMENT DE LA POSITION DE LA CPI DANS LES CAS D’ESPECE ?

1. La Cour estime que la demande du Procureur de juger Kadhafi devant la CPI est recevable

Les autorités libyennes ont soulevé une exception d’irrecevabilité contre la demande du Procureur de la CPI, au motif que depuis l’arrestation du fils du défunt « Guide de la révolution libyenne », des poursuites sont exercées contre lui au plan national. Elles ont en outre réitéré formellement leur volonté et leur capacité de poursuivre le fils Kadhafi pour les faits de crime contre l’humanité qui lui sont reprochés.

Pour la Chambre préliminaire de la Cour, lorsqu’un Etat soulève l’exception d’irrecevabilité, deux questions doivent être résolues : existe-il des enquêtes ou des poursuites au niveau national au moment où l’exception est soulevée ? L’Etat a-t-il une véritable volonté et capacité d’exercer de telles enquêtes ou poursuites ?

Sur le premier point, la Chambre estime que les faits pour lesquels Saïf Al-Islam est poursuivie en Libye n’étant pas substantiellement identiques à ceux pour lesquels la Cour le poursuit (d’autant plus que le crime contre l’humanité n’existe pas dans la législation libyenne), il n’est pas possible de dire que des enquêtes ou poursuites sont exercées contre l’accusé au sens du Statut de Rome.

Sur le second point, la Cour a estimé que la Libye n’a pas la capacité d’exercer les enquêtes et poursuites nécessaires en raison de la situation d’insécurité dans le pays et de l’effondrement de son système judiciaire. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’incapacité du Gouvernement à assurer la sécurité de Saïf Al-Islam pour son transfert de son lieu de détention (Zintan) à la capitale (Tripoli), ainsi que son incapacité à garantir un procès équitable à ce dernier, notamment par la protection des témoins ou même de ses avocats.

Compte tenu de tout cela, la Chambre n’a pas jugé utile d’examiner la question de la « volonté de juger » des autorités libyennes. Elle a ainsi estimé que c’est à la Cour de connaître de cette affaire et que la Libye devait lui remettre le suspect.

2. L’audience de confirmation des charges est ajournée, faute d’éléments de preuve suffisants contre le Président Gbagbo

Dans le cas Gbagbo en revanche, la Chambre appelée à se prononcer sur la confirmation des charges qui pèsent sur l’ancien homme fort de Côte d’Ivoire (crime contre l’humanité) a estimé que les éléments de preuve produits par le Procureur sont insuffisants : la majorité des faits incriminés dans les actes d’accusation sont sommaires de sorte que la Chambre n’a pas pu déterminer si les auteurs des crimes perpétrés avaient agi dans les conditions exigées par l’article 7 du Statut de Rome portant sur le crime contre l’humanité.

En outre, le Procureur n’a pas produit suffisamment d’éléments probants permettant à la Cour d’établir un lien entre le Président Gbagbo et les soi-disant « forces pro-Gbagbo », accusées des exactions qui ont suivi les élections contestées de novembre 2010 en Côte d’Ivoire.

Toutefois, pour la Chambre préliminaire de la Cour, ces carences ne sont pas suffisantes, pour le moment, pour qu’elle se refuse de confirmer les charges qui pèsent sur l’ancien président ivoirien. Aussi décide-t-elle d’ajourner l’audience de confirmation des charges, conformément à l’article 61 (7)(c)(i) du Statut de Rome, en demandant au Procureur de produire des éléments de preuve supplémentaires. Elle estime que cette décision ne porte pas atteinte aux droits de M. Gbagbo, notamment la tenue de l’audience de confirmation des charges dans un délai raisonnable.

III. QUELLES LECONS EN TIRER ?

Il est pour moi important de partir d’un postulat très important : la CPI a été créée, non aux fins de pourchasser qui que ce soit, mais pour lutter contre l’impunité, laquelle prend racine dans les carences des systèmes de répression au niveau national. Parler donc de « chasse », fut-elle « raciale », pour désigner l’action de la CPI, cela ne peut être possible que dans des zones où des crimes sont commis en toute impunité (bien évidemment nous sommes d’accord que ces crimes ne sont pas commis en Afrique seulement et le Procureur, sur ce point, devrait prendre ses responsabilités comme il l’a fait dans le cas kenyan).

Le cas libyen nous enseigne ainsi que la lutte contre l’impunité ne se décrète pas, elle ne se proclame pas à coups de slogans mais se vérifie à l’aune de faits concrets et palpables que les autorités du pays n’ont pas pu fournir devant la Chambre préliminaire de la CPI.

Dans le cas ivoirien, la Cour a démontré que des indices farfelus ne sont pas suffisants pour qu’une affaire soit renvoyée à la phase de jugement. Le transfert d’une personne devant la Cour n’est pas synonyme de condamnation définitive et, en l’espèce, il n’est pas exclu que celle-ci se prononce en faveur de la libération de M. Gbagbo lors de la prochaine audience de confirmation des charges.

En somme, l’Etat libyen qui détient encore Saïf Al-Islam Kadhafi peut refuser de le transférer à la Cour comme elle le demande ; la Cour elle-même peut bien libérer le Président Gbagbo à la suite de la prochaine audience de confirmation des charges ; les Etats africains peuvent décider de suspendre leur coopération avec la Cour sur le mobile de la « chasse raciale » qu’elle mène contre leurs dirigeants. Mais une question à mon avis demeure essentielle : vers qui doivent se tourner les pauvres victimes qui réclament justice ?

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31 juillet 2012 2 31 /07 /juillet /2012 08:35

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal des Nations Unies, a rendu un arrêt le 20 juillet 2012, en l’affaire relative aux Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader, opposant le Royaume de Belgique à la République du Sénégal. Cette décision met un terme à une procédure judiciaire d’environ trois ans et demi, initiée par une requête du Royaume de Belgique du 19 février 2009, au sujet d’un différend relatif au respect par le Sénégal de son obligation de poursuivre M. HISSENE HABRE, ancien Président de la République du Tchad, ou de l’extrader vers la Belgique aux fins de poursuites pénales.

I. LA SUBSTANCE DE L’ARRET DE LA CIJ

En dépit des exceptions préliminaires soulevées par le Sénégal, la Cour s’est déclarée compétente pour statuer sur les demandes qui lui étaient soumises par la Belgique. En particulier, s’agissant de la recevabilité de la requête, elle déclare que « tout Etat partie à la convention contre la torture peut invoquer la responsabilité d’un autre Etat partie dans le but de faire constater le manquement allégué de celui-ci à des obligations erga omnes partes, telles que celles qui lui incombent en application du paragraphe 2 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 7, et de mettre fin à un tel manquement » (paragraphe 69 de l’arrêt).

Sur le fond, la Cour considère que le Sénégal n’a pas satisfait à l’obligation prescrite à l’article 6, paragraphe 2 de la convention contre la torture, du fait de n’avoir pas ouvert d’enquête préliminaire à l’encontre de M. HISSENE HABRE, en vue de corroborer ou non les soupçons qui pèsent sur sa personne, après que des plaintes aient été déposées contre lui au Sénégal pour des actes de torture.

En second lieu, conformément à l’article 7, paragraphe 1 de la convention contre la torture, la Cour estime que la Belgique est en droit de demander au Sénégal de se prononcer sur le respect de son obligation de poursuivre ou d’extrader. Elle poursuit que les obligations qui pèsent sur le Sénégal ne sauraient être affectées ni par la décision rendue par la Cour de Justice de la CEDEAO le 18 novembre 2010 demandant le jugement de M. HISSENE HABRE par une juridiction ad hoc à caractère international, ni par les difficultés financières invoquées par le Sénégal, encore moins par la saisine de l’Union Africaine de l’affaire. Elle fait observer, enfin, que le Sénégal ne saurait invoquer son droit interne pour se soustraire de ses obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 7 susmentionné.

Par tous ces motifs, la Cour conclut que le Sénégal ayant manqué à ses obligations découlant de la convention contre la torture, il a engagé sa responsabilité internationale et, à ce titre, doit prendre sans autre délai les mesures nécessaires en vue de saisir ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale, s’il n’extrade pas M. HISSENE HABRE.

II. L’INTERET DE L’ARRET DE LA CIJ

L’arrêt rendu par la CIJ en l’affaire en objet est d’un grand intérêt pour la compréhension de certaines dispositions essentielles de la convention contre la torture. Il en est ainsi du paragraphe 1 de l’article 7 de ladite convention, lequel dispose que « l’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ». Ces dispositions, qui codifient l’obligation, très ancienne en droit international coutumier, de poursuivre ou d’extrader (aut dedere aut judicare), ont souvent donné lieu à des interprétations divergentes des Etats, comme l’a d’ailleurs attesté le différend entre la Belgique et le Sénégal. Aussi, l’arrêt rendu par la CIJ le 20 juillet 2012 a l’avantage de fixer le contenu de ce principe sur au moins trois de ses aspects :

- La nature et le sens de l’obligation de poursuivre ou d’extrader : la poursuite de la personne soupçonnée d’actes de torture est une obligation conventionnelle dont la violation engage la responsabilité pour fait illicite de l’Etat sur le territoire duquel elle se trouve, alors que l’extradition de la personne concernée demeure une simple option offerte à l’Etat.

- La portée temporelle de l’obligation de poursuivre ou d’extrader : cette obligation ne s’applique qu’aux faits survenus après l’entrée en vigueur de la convention pour l’Etat concerné.

- La mise en œuvre de l’obligation de poursuivre ou d’extrader : les aléas relatifs à des difficultés financières de l’Etat sur le territoire duquel se trouve la personne soupçonnée ou au traitement du cas de ce dernier devant d’autres instances (juridictionnelles ou non) ne peuvent ni affecter l’obligation qui incombe à l’Etat de poursuivre ou d’extrader, ni justifier des retards dans le respect de ses engagements conventionnels. Toutefois, précise la Cour, « le paragraphe 1 de l’article 7 de la convention ne contient aucune indication quant aux délais d’exécution de l’obligation qu’il prévoit, mais le texte implique nécessairement que celle-ci doit s’appliquer dans un délai raisonnable, de façon compatible avec l’objet et le but de la convention » (paragraphe 114 de l’arrêt).

Cet arrêt inspirera sans aucun doute les membres de la Commission du droit international (CDI) des Nations Unies, au moment où ceux-ci se penchent sur un projet d’articles relatif à l’obligation de poursuivre ou d’extrader.

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21 novembre 2010 7 21 /11 /novembre /2010 23:37

 

Lorsqu’on évoque la thématique de la justice pénale internationale, il s’agit de la répression, à l’échelle internationale, des crimes les plus graves. Une telle thématique, qui est le reflet de l’avènement ou tout au moins de la tendance vers une communauté internationale, peut être étudiée sous un double prisme, à savoir sous un prisme exclusivement juridique, mais également sous un angle politique. C’est sous le prisme du droit que se pose le problème des règles de compétence en matière de justice pénale internationale, autrement dit des conditions dans lesquelles une juridiction peut être saisie d’une affaire à caractère pénal. C’est sur lesdites règles de droit que nous nous appesantirons exclusivement dans la présente réflexion. Dans une approche essentiellement pédagogique, nous montrerons que la justice pénale internationale peut relever autant de la compétence des juridictions nationales que des juridictions internationales.


La compétence internationale des juridictions nationales en matière pénale


Les juridictions nationales sont pénalement compétentes, en matière internationale, sur la base de quatre règles de compétence.

La compétence territoriale

Dans ce cas d’espèce, la juridiction nationale est compétente parce que l’infraction a été commise sur son territoire, quelle que soit la nationalité de l’auteur ou de la victime.

La compétence personnelle

Elle a deux variantes :

La compétence personnelle active : ici, la juridiction nationale est compétente lorsque l’auteur de l’infraction, bien qu’elle est ait été commise à l’étranger, est un national.

La compétence personnelle passive : la juridiction nationale est compétente lorsque la victime de l’infraction, bien que commise à l’étranger, est un national. C’est en vertu de ce mode de compétence que la justice française s’est déclarée compétente pour juger un certain nombre de hauts responsables rwandais (à la suite de l’attentat du 6 avril 1994 contre les Présidents rwandais et burundais) et sénégalais (à la suite du naufrage du Joola) dans la mesure où certaines des victimes étaient de nationalité française.

La compétence réelle

Par la compétence réelle, la juridiction nationale est compétente lorsqu’il est porté atteinte à des intérêts nationaux depuis un territoire étranger (fabrication de la fausse monnaie locale, atteinte à la sûreté de l’Etat, etc.).

La compétence universelle

Elle a deux variantes :                                                                                                

La compétence universelle absolue : ici la juridiction nationale est compétente quel que soit le lieu de commission de l’infraction ou la nationalité de l’auteur ou de la victime. Ce type de compétence, prévu par les conventions de Genève de 1989 et la convention contre la torture de 1984 est difficilement envisageable.

La compétence universelle territorialisée : ici, la juridiction nationale est compétente pour les crimes commis à l’étranger, même si la victime ou l’auteur ne sont pas de sa nationalité, à condition que ce dernier soit arrêté sur son territoire. Cette variante de la compétence universelle justifie le procès contre Hissène Habré, ancien Président de la République du Tchad, au Sénégal.

Ce qu’il faut retenir, pour terminer, c’est que ces différentes compétences ne sont pas exclusives les unes des autres et peuvent être cumulées dans un même ordre juridique. Toutefois, elles ne s’exercent pas à l’égard des personnes qui jouissent des immunités diplomatiques (Chef de l’Etat, ministre des affaires étrangères, diplomates).


La compétence internationale des juridictions internationales en matière pénale


En matière internationale, on distingue les juridictions internationales ad hoc de la juridiction permanente (CPI).

Les juridictions pénales internationales ad hoc

On parle de juridictions pénales internationales ad hoc pour désigner les tribunaux internationaux dont la compétence est limitée aussi bien dans le temps que dans l’espace. Elle est limitée dans le temps dans la mesure où elle s’étend sur une période de temps clairement délimitée. Elle est limitée dans l’espace dans la mesure où elle ne concerne que des crimes commis sur des espaces territoriaux bien définis. Ces juridictions ont une compétence prioritaire sur celle des Etats, ce qui signifie qu’en cas de conflit de compétences entre les juridictions nationales et les Juridictions pénales internationales ad hoc sur des cas identiques, c’est la compétence de ces derniers qui prime.

Les juridictions pénales internationales ad hoc sont nombreuses. On peut citer le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le Tribunal spécial pour la Sierra Léone (TSSL), le Tribunal spécial pour le Cambodge et le Tribunal spécial pour le Liban. Toutefois, nous ne nous attarderons que sur les deux premières qui sont les plus en vue.

Le TPIY a été établi le 25 mai 1993 par le Conseil de sécurité des Nations Unies agissant au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies en vue de réprimer les violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991. Le TPIR en revanche a été mis en place par le Conseil de sécurité le 8 novembre 1994, en réaction aux actes de génocide et de violations massives du droit international humanitaires perpétrés sur le territoire du Rwanda et les Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

La juridiction pénale internationale permanente : la CPI

La CPI est une juridiction permanente en ce sens que sa compétence n’est pas limitée dans le temps dès lors que son Statut, adopté le 17 juillet 1998, est entré en vigueur (le 1er juillet 2002). En outre, la compétence de la CPI n’est pas limitée dans l’espace et son Statut s’applique à tous les Etats dès lors que ceux-ci le ratifient ou y adhèrent.

Toutefois, la CPI a une compétence complémentaire à celle des Etats (article 1er), ce qui signifie qu’en cas de conflit de compétences entre la CPI et la juridiction d’un Etat, la seconde prime, la CPI n’étant compétente que si l’Etat ne veut pas ou ne peut pas juger les auteurs de crimes relevant de sa compétence.

Les crimes relevant de la compétence de la CPI sont le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression (article 5). Les poursuites devant la CPI peuvent être engagées, soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité des Nations Unies, soit par le Procureur (article 13). Toutefois, en vertu de la mission que lui confère le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité peut suspendre des poursuites engagées par la CPI (article 16).

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21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 13:36

La justice pénale internationale a été enrichie par une actualité relativement récente, à savoir le lancement par la chambre préliminaire de la Cour Pénale Internationale (CPI) d’un mandat d’arrêt international contre le Président soudanais Omar Hassan El Beshir le 4 mars 2009. Cette dernière actualité a conforté l’opinion d’une certaine catégorie d’observateurs africains, et même non africains, qui pensent que cette juridiction est un nouvel instrument dont s'est dotée l'Occident afin de déployer son néo-impérialisme sur le continent noir, ressuscitant ipso facto la thèse de la « mission civilisatrice ». Et, à regarder de près, une multitude d’arguments semblent bien militer en faveur d’une pareille lecture dans la mesure où les procédures actuellement en phase d'instruction ou de jugement devant la Cour sont dirigées exclusivement contre des hommes d’Etat africains, un doigt accusateur étant particulièrement dirigé contre les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne qui accompliraient leur basse besogne sous le manteau du très controversé Conseil de Sécurité des Nations Unies. Un tel constat, au demeurant superficiel, partiel et partial dans la lecture et l’analyse des activités de la juridiction de La Haye, est-il pour autant suffisant pour conclure à une cabale contre nos responsables et anciens responsables politiques ?

En réalité, je pense qu’il est important de revisiter la mécanique de déploiement de la Cour, tant d'un point de vue institutionnel que fonctionnel, au besoin en recourant au droit comparé, afin d’y porter un jugement beaucoup plus objectif. J’aimerais, pour cela, m’attarder sur deux points particuliers : les acteurs investis du droit de saisir la Cour et les pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité des Nations Unies en matière de procédure devant la CPI.

A propos des acteurs investis du droit de saisir la Cour

Il faut partir ici de ce que parmi les acteurs investis du droit de saisir la Cour, figurent les Etats parties, le Conseil de Sécurité des Nations Unies et le Procureur. Le droit ainsi reconnu aux Etats de déposer une requête auprès de la juridiction internationale répressive se situe dans l’hypothèse où, estimant que des crimes relevant de la compétence de la Cour ont été commis sur leur territoire, ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour les poursuivre et en assurer la correcte sanction. C'est ce droit de saisine qu'ont exercé, en toute liberté et en toute souveraineté, des Etats comme la République Démocratique du Congo (dans les affaires Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanta, Mathieu Gudjolo, Bosco Ntangata), la République Centrafricaine (affaire Jean-Pierre Bemba) ou même l'Ouganda (affaire Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen) qui, eux-memes, ont saisi la CPI pour qu’elle connaisse des situations qui se sont déroulées sur leurs territoires.

Seul le cas soudanais est donc exceptionnel, avec les mandats d’arrêt internationaux lancés par la Cour en premier lieu contre Ahmad Muhammad Harun ("Ahmad Harun") et Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman ("Ali Kushayb"), et ensuite contre le Président El Beshir, car relevant d’une initiative du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui, en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (actions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression) et de l’article 13 § b du Statut de Rome, a demandé au Procureur d’enquêter sur la situation au Darfour.

Comment donc incriminer ce fantomatique Occident – la fameuse et finalement ennuyeuse théorie du complot – dès lors que les africains sont, eux-mêmes, les initiateurs des procédures majoritairement en étude devant la CPI ? Si instrumentalisation il y avait, ne seraient-ce pas plutôt des manœuvres proprement africaines destinées à mettre hors course des adversaires...militairement ou politiquement redoutables. Une telle conclusion, de mon point de vue, serait tout aussi excessive car nierait les exactions réelles qui sont perpétrées dans les régions concernées, et pour lesquelles justice doit être rendue. Et, de fait, la Cour n’ayant qu’une compétence complémentaire des juridictions nationales, elle ne peut intervenir que parce que l’Etat lui-même l’a sollicitée, ou alors parce que celui-ci s’est abstenu de juger des crimes graves commis sur son territoire. Que les africains jugent donc eux-mêmes leurs criminels et la Cour ira chasser ailleurs – ou alors fermera tout simplement ses portes, si ça peut rassurer quelques uns –, est-on tenté de conclure sur ce point.

Et, de mon point de vue, l’argument selon lequel des crimes internationaux sont également commis en Afghanistan, en Irak ou ailleurs manque de pertinence et relève davantage d’un discours passionnel, malheureusement dépourvu de considérations compassionnelles. L’existence de telles exactions dans d’autres portions géographiques de la planète n’exonère pas de leurs responsabilités les africains auteurs de crimes graves relevant de la compétence de la CPI et ne devrait pas priver les victimes du droit légitime à la réparation ; dans tous les cas – et fort heureusement – un principe d’exonération de responsabilité pour cause de crimes également commis ailleurs et restés impunis n’a pas encore été consacré par le droit international positif.

A propos des pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité des Nations Unies en matière de procédure devant la CPI

Sur les pouvoirs particuliers du Conseil de Sécurité en matière de procédure devant la Cour, la critique formulée se résume fondamentalement à ceci : de tels pouvoirs constituent une intrusion malsaine du politique dans la mécanique judiciaire et un verrou supplémentaire offert aux grandes puissances qui en assurent le contrôle. Deux axes d’analyse peuvent etre retenus ici afin de démonter un tel raisonnement. Il s’agira pour nous de nous attarder d’une part sur la faculté pour le Conseil de Sécurité de déférer au Procureur des situations dans lesquelles des crimes internationaux ont été commis, conformément à l’article 13 § b du Statut de Rome et, d’autre part, le pouvoir qu’a cet organe des Nations Unies de suspendre des enquêtes ou des poursuites déjà entamées, conformément à l’article 16 du même texte.

Le droit de saisine du Procureur par le Conseil de Sécurité n’est en réalité qu’un continuum de la charte des Nations Unies, car s’inscrivant au titre du chapitre VII du texte de San Francisco qui confère à cet organe le pouvoir d’engager toute action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d’acte d’agression. Dès lors, la saisine du Procureur devient donc un pouvoir discrétionnaire du Conseil de Sécurité, qui a la liberté de déterminer, entre plusieurs moyens mis à sa diposition pour mettre fin à une situation de tension ou de crise, lequel choisir. Ceci permet donc de balayer d’un revers de la main la plainte de ceux qui reprochent à la Cour de poursuivre dans certains cas et de rester indifférente dans d’autres, dans la mesure où l’initiative étant ici celle du Conseil de Sécurité, celui-ci a la lattitude de prendre d’autres mesures qu’il juge davantage pertinentes dans ces autres cas.

En ce qui concerne le pouvoir du Conseil de Sécurité de suspendre des enquêtes ou poursuites entamées par le Procureur, il constitue pour beaucoup une potentielle entrave politique au déploiement de la justice pénale internationale, un moyen dont pourrait user les membres du Conseil de Sécurité afin d’assurer l’impunité à leurs thuriféraires. Une telle lecture est possible et une pareille crainte relève du champ du réel, il faut l’admettre ; mais elle ne doit pas être invoquée de façon systématique et, en fin de compte, de façon simpliste, comme s’il s’agissait de la raison ayant motivé l’introduction de l’article 16 dans le dispositif du Statut de Rome. Je pense que la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales qui incombe au Conseil de Sécurité et qui fonde ce droit d’immixtion est suffisante pour le justifier. En effet, je crois pour ma part qu’un entêtement judiciaire parfois peut constituer plus de mal à la paix qu’un compromis politique bien ficelé, au regard des rapports de force qui très souvent prévalent sur le terrain des affrontements. A quoi cela sert-il par exemple de s’acharner contre le Président Omar El-Beshir (pour ne prendre que ce cas, sous réserve d’une maitrise exacte des réalités du terrain), lorsque l’on sait que c’est lui qui détient l’essentiel des leviers d’une normalisation de la situation au Darfour ? L’arrestation – au demeurant hypothétique – de cet individu, fut-il le commanditaire réel ou supposé des crimes perpétrés dans cette région, vaut-elle des pertes continuelles en vies humaines ? A cette question, chacun a certainement sa réponse.

Que dire d'ailleurs du droit national, du moins dans les systèmes d’inspiration romano-germanique, qui reconnaît au ministre de la justice, organe par essence de l’appareil politique, le pouvoir discrétionnaire d'interrompre – et pas tout simplement de suspendre, comme c’est le cas devant la CPI – les poursuites initiées par le parquet, en vertu du principe de subordination et de l’opportunité de poursuite qui lui est reconnu ? Une pareille intrusion jusque là n’a jamais véritablement été considérée comme un empêchement dirimant au déploiement de la justice pénale à l’échelle nationale à ma connaissance.

En somme, il ne s'agit pas pour moi de dédouaner la justice pénale internationale dont des carences et insuffisances peuvent être décelées ; elle n'est certainement pas parfaite, mais elle n'est pas aussi diligentée et aussi téléguidée comme on voudrait bien nous le faire croire. Ce qu'il y a lieu de faire, à mon sens, au lieu de continuer à tirer à boulets rouges sur une justice qui cherche ses marques dans une société internationale pour l’essentiel encore structurée par la dimension relationnelle et travaillée par les rapports de puissance, c’est d’orienter le débat sur les moyens de l’affiner, de la rendre plus perméable aux souverainetés étatiques, sans ignorer l'indissociabilité qu'il y a, sur le plan international, entre le droit et la politique. En bref, il s'agit de renouveler le discours critique sur la CPI.

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