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23 janvier 2012 1 23 /01 /janvier /2012 20:16

Cette question m’a été posée par un ami. J’ai bien voulu partager avec vous la réponse qu’elle m’a inspirée. Pour cela j’ai situé la montée en puissance des droits de l’homme à la fin de la deuxième guerre mondiale. A partir de là, j’ai voulu montrer que si la volonté de pacifier les relations internationales est l’objectif « officiel » qui sous-tend la prise en compte des droits de l’homme dans les relations internationales, et dans une certaine mesure y contribue, elle n’en cache pas moins d’autres finalités aux relents géopolitiques inavoués.

 

La montée en puissance des droits de l’homme comme l’expression de la volonté de pacifier les relations internationales


C’est avec la fin de la deuxième guerre mondiale que la question des droits de l’homme devient une préoccupation majeure de la communauté des Etats. Cela tient pour l’essentiel aux violations massives des droits humains qui ont été perpétrées durant cette longue tragédie humaine, notamment avec le massacre des populations juives dans les camps de concentration allemands. Ainsi, à la suite de ce conflit mondial, l’ONU a été créée avec pour but de maintenir la paix et la sécurité internationales, mais aussi de développer et d’encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous. A partir de ce moment, la nouvelle organisation mondiale établit un lien étroit entre droits de l’homme et paix internationale. Le mouvement va se poursuivre avec l’adoption en cascade de textes protecteurs des droits humains, tant à l’échelle universelle que régionale, dans le souci de préserver la paix internationale. Lorsqu’on lit par exemple le préambule du pacte international relatif aux droits civils et politiques, il est clairement formulé que « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Une pareille ambition peut se retrouver dans d’autres textes de même nature. Il est d’ailleurs anecdotique de rappeler que dans son message à l’occasion de la célébration de la journée des droits de l’homme le 10 décembre 2010, le Secrétaire général des Nations Unies M. Ban Ki-Moon affirmait que « les droits de l’homme sont l’assise même de la liberté, de la paix, du développement et de la justice ».

Cette posture volontariste se dégage également dans le discours officiel de politique étrangère de certains Etats. Ainsi en est-il de la France, autoproclamée patrie des droits de l’homme. Lors de son adresse à la tribune des Nations Unies en septembre 2008, le Président Sarkozy affirmait que « la dignité de l’homme est une valeur universelle. Ce qu’il nous faut promouvoir partout, c’est le respect de cette diversité. C’est comme cela que nous construirons la paix et la fraternité humaine et que nous combattrons l’intolérance, la haine, la violence, l’obscurantisme et le fanatisme ». Ce qui n’est pas sans dissimuler d’autres finalités.

 

La montée en puissance des droits de l’homme comme facteur de tensions et de conflits à l’échelle internationale


Cela tient d’abord à ce que l’objectif initial, si tant est qu’il a été noble au départ, est progressivement dévoyé par certains acteurs. Ainsi, les droits de l’homme semblent instrumentalisés par les politiques étrangères de certains Etats. Il en résulte des tensions vives entre Etats, dont certains y voient des actes d’ingérence inadmissibles dans leurs affaires intérieures (cas de la Chine, notamment suite à l’attribution du prix Nobel de la paix à l’écrivain Liu Xiaobo en 2010), voire des conflits comme le cas de la guerre en Irak, dont l’un des motifs invoqués par l’administration américaine a été le caractère anti-démocratique du régime de Saddam Hussein et les violations massives des droits de l’homme qui étaient perpétrées par celui-ci. C’est le cas aussi de toutes les tensions suscitées par l’action de la CPI alors que celle-ci a été mise sur pied pour lutter contre les violations des droits de l’homme (cas du mandat contre les Présidents Beshir du Soudan et Gbagbo de Côte d’Ivoire et tout le tintamarre qui s’en est suivi).

Cela tient ensuite à ce que les droits de l’homme ne sont pas uniformément perçus à l’échelle planétaire et l’idée qui se répand est celle d’une « civilisation dominante » désireuse d’imposer son modèle aux autres (cas de l’homosexualité qui est promue et de la polygamie qui est condamnée), d’où l’émergence également de tensions : c’est la fameuse dialectique « globalisation-fragmentation ». En même temps qu’on veut rassembler tous les humains sous la même bannière « droit de l’hommiste », en même temps ceux-ci se braquent et se rétractent, souvent par recours à la violence (c’est parfois le seul moyen qu’ils ont à leur disposition), parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans les valeurs qu’on veut leur imposer. La violence devient donc un moyen de préserver son identité et d’assurer sa survie : bref de préserver ce que l’on considère comme « ses droits de l’homme ».

 

En conclusion, la question reste en débat. Bien que l’ambition initiale était de faire des droits de l’homme un facteur de paix dans les relations internationales, il n’en demeure pas moins que tant que tous les humains n’auront pas une perception unique et uniforme desdits droits (ce qui au demeurant n'est pas possible), des tensions, des crises et même des conflits persisteront. Mais loin d’entretenir la flamme du pessimisme, on doit admettre qu’un consensus semble s’être dégagé sur certaines valeurs (interdiction de l’esclavage, de la torture, du génocide, etc.). Cet acquis là doit être capitalisé car il concourt à préserver un minimum de cette paix si chère dans les relations internationales contemporaines.

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 01:31

 

La situation en Libye est sans nul doute le fait qui monopolise l’attention de la communauté internationale en ce moment, à côté du drame que traverse le Japon suite au séisme et au tsunami qui ont ravagé une partie du pays le 11 mars 2011. Ainsi, le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1973 (2011) en vue d’assurer la protection des civils et des secteurs où vivent des civils et d’assurer l’acheminement de l’aide humanitaire et la sécurité du personnel humanitaire en Libye. Si l’objectif d’une telle résolution peut sembler noble dans son principe, au regard de la mission principale qui est celle du Conseil de sécurité des Nations Unies (le maintien de la paix et de la sécurité internationales), celle-ci n’échappe pas à la grille de l’analyse critique, sur le triple plan de sa légalité, de sa légitimité et de son efficacité.

Sur le plan de la légalité, il faut dire grosso modo que les résolutions du Conseil de sécurité sont astreintes à des conditions de fond et de forme. Sur le fond, le Conseil doit se prononcer sur des questions qui relèvent de son domaine de compétence, à savoir précisément les questions qui relèvent des chapitres VI (règlement pacifique des différends), VII (action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix, d’acte d’agression), VIII (accords régionaux) et XII (régime international de tutelle) de la Charte des Nations Unies. En l’espèce, le Conseil prétend agir en vertu du chapitre VII (préambule de la résolution). Peut-on alors affirmer que la situation en Libye représente une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression ? Les membres du Conseil, pour justifier leur intervention relèvent, entre autres, les violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, de même que les actes de violence et d’intimidation à l’égard des journalistes, des personnes des médias et des étrangers. Ce qui, de mon point de vue, est suffisant pour justifier la mobilisation du chapitre VII de la Charte, en raison de l’envergure que l’on reconnaît aujourd’hui aux droits humains sur la scène internationale. C’est sur la forme en revanche que la résolution pose problème. En effet, lorsqu’une résolution ne porte pas sur les questions de procédure (comme c’est le cas en l’espèce), elle n’est valide que si elle a été prise par un vote affirmatif de neuf membres (au moins) parmi lesquels tous les membres permanents (article 27§3 de la Charte des Nations Unies). En l’espèce, la résolution a été adoptée à une majorité de dix membres et cinq abstentions, dont celle de la Chine et de la Fédération de Russie, membres permanents du Conseil. Ce qui en principe aurait dû l’invalider. Il faut toutefois reconnaître que cette pratique s’est vulgarisée au sein du Conseil et de nombreuses résolutions sont aujourd’hui prises sur des questions identiques sans le consentement formel de tous les membres permanents (on est là en présence d’une coutume contra legem).

Sur le plan de la légitimité, la question est celle de savoir si la résolution correspond aux aspirations de la communauté des Etats dans son ensemble. Certes, conformément à l’article 24 de la Charte, en s’acquittant des devoirs que lui impose sa responsabilité, le Conseil de sécurité agit au nom de tous les membres des Nations Unies. Le problème de la légitimité ne devrait donc normalement pas se poser. Mais la composition du Conseil de sécurité aujourd’hui est contestée (voir mon article sur la réforme des Nations Unies), notamment par un certain nombre de pays africains et émergents. C’est la raison pour laquelle les auteurs de la résolution recherchent le consensus le plus large, en s’appuyant au besoin sur les condamnations formulées par la Ligue des Etats arabes, de même que l’Union Africaine et le Secrétaire Général de l’Organisation de la Conférence Islamique sur les exactions commises par les autorités libyennes. Toutefois, une lecture du vote des membres du Conseil permet également de se faire une idée des lignes de fracture qui caractérisent la communauté internationale face à la situation libyenne. En effet, l’essentiel des pays émergents membres du Conseil de sécurité se sont abstenus (les cinq abstentions sont celles de la Chine, de la Fédération de Russie, du Brésil, de l’Inde et de l’Allemagne), tendance lourde qui traduit une certaine volonté de se démarquer du diktat des grandes puissances. En outre, bien que tous les pays africains membres non permanents du Conseil (Afrique du Sud, Nigéria, Gabon) aient voté en faveur de la résolution, le Comité de l'Union Africaine sur la Libye a condamné le recours à la force contre la Libye et appelé à la cessation immédiate des hostilités.

Du point de vue de son efficacité, permettez-moi d’abord de rappeler la substance des mesures préconisées par la résolution du Conseil de sécurité pour remédier à la situation en Libye. Elles sont d’ordre judiciaire (saisine du procureur de la CPI pour l’examen des crimes commis, qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité), militaire (établissement d’une zone d’exclusion aérienne et application d’un embargo sur les armes), économique et financière (interdiction des vols et gel des avoirs d’un certain nombre d’autorités libyennes). En outre, la résolution autorise les Etats à prendre toutes mesures nécessaires pour protéger les populations et les zones civiles menacées, tout en excluant le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit. Cet ensemble de mesures, hormis l’établissement de la zone d’exclusion aérienne, sont aujourd’hui classiques et, de mon point de vue, n’ont jamais fait leur preuve. En revanche, la zone d’exclusion aérienne, qui vise à affaiblir les capacités de l’aviation libyenne ne pourra avoir qu’une efficacité limitée dans la mesure où elle ne pourra pas mettre fin aux affrontements au sol où, semble-t-il, le pouvoir en place aura toujours le dessus. D’où la nécessité d’étudier de façon plus approfondie l’approche diplomatique initiée par le Secrétaire général des Nations Unies, qui a demandé à son envoyé spécial de se rendre en Libye en vue de faciliter un dialogue qui débouche sur les réformes politiques nécessaires à un règlement pacifique et durable de la crise libyenne.  

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1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 23:34

 

           Le procès international, comme toute activité humaine qui aspire au succès, obéit à une vision stratégique. J'ai l'honneur de vous livrer ici un résumé de mon mémoire de fin de formation en relations internationales soutenu à l'IRIC sur le thème "La défense des intérêts de l'Etat devant le prétoire international. Recherches sur la politique juridique extérieure du Cameroun". Il s'agit des stratégies de l'Etat  camerounais pour faire de sa présence et de son action devant le prétoire international un moyen  en vue de réaliser ses objectifs de politique étrangère.

 

 

RESUME

 

La politique juridique extérieure n’est pas un champ d’étude suffisamment exploré dans les pays en développement. Il n’en demeure pas moins que sa pratique n’est pas absente de la vie internationale de ces Etats, y compris devant le prétoire international. Dans ce sens, la présente étude vise à objectiver la politique juridique extérieure du Cameroun à la lumière de la défense des intérêts de l’Etat devant le prétoire international. Il en ressort que cette politique, dont la finalité est de faire de la présence et de l’action de l’Etat devant le prétoire international un instrument en vue de la réalisation des objectifs de politique étrangère, s’articule autour de deux grands axes.

En premier lieu, la politique juridique extérieure du Cameroun concerne le choix du prétoire international « intéressant ». Cela s’explique par le fait que sur la scène internationale, la soumission de l’Etat à la justice internationale n’est pas obligatoire et il appartient à ce dernier d’opérer le choix du prétoire le plus à même de rendre une décision qui lui est avantageuse. Pour le Cameroun, ce choix s’opère de préférence à l’avance et exceptionnellement au cas par cas. Une telle alternative est le reflet d’un double objectif. D’une part, il s’agit de traduire dans les faits les principes de présence et de participation de la diplomatie camerounaise et de promouvoir une certaine image de l’Etat sur la scène internationale. D’autre part, il s’agit de minimiser au mieux les risques de perte du procès.

En second lieu, la politique juridique extérieure du Cameroun s’intéresse au droit applicable le plus « pertinent » devant le prétoire international. C’est ici que se déploient les stratégies de l’Etat en vue de la mobilisation du droit le mieux à même de faire triompher les prétentions de l’Etat avec, à terme, l’objectif politique de réduire les risques de perte des procès impliquant l’Etat. Très concrètement, l’Etat camerounais tente au mieux de tirer profit des marges de manœuvre que lui offre le droit international. Il s’agit de privilégier le recours consensuel au prétoire international et, dans le même temps, de tenter de neutraliser les saisines unilatérales initiées par la partie adverse, y compris toutes les manœuvres qui tentent de retarder la décision définitive du juge. En ce qui concerne le fond du litige, le Cameroun privilégie les règles et normes de droit qui lui sont favorables et, lorsque la nécessité l’impose, il fait le choix de l’interprétation qui va dans le sens de ses intérêts.

Toutefois, l’un des points faibles d’une telle politique reste la question de la représentation de l’Etat devant le prétoire international, dont la forte décentralisation dans le contexte camerounais en fragilise l’efficacité, d’où la nécessité de coordonner la compétence de représentation de l’Etat du Cameroun devant le prétoire international.


ABSTRACT

 

In developing countries, external legal policy is a domain on which research has not been sufficiently carried out. This however does not mean that the practice is totally ignored in States’ interactions including before an international jurisdiction. To this effect, this study has as objective to show the extern legal policy of Cameroon in the light of the defense of the State’s interests before the international jurisdiction. It becomes clear from this study that, the external legal policy of Cameroon from the point of view of the defense of the interests of State rotates around two axes.

Firstly, Cameroon’s external legal policy is deployed in respect of the choice of the international “interesting” jurisdiction. This is justified by the fact that, on the international scene, a State is not obliged to comply to an international jurisdiction coupled with the fact that a State is free to resort to a jurisdiction it deems the decision will be in its favor. For the State of Cameroon, this choice is made preferably in advance and exceptionally case after case. This type of alternative thus reflects a double goal. It consists of demonstrating in reality, the principle of Cameroon’s diplomatic presence and participation and fostering the State’s image on the international scene on one hand and minimizing the risk of an unfavorable judgment on the other hand.

Secondly, Cameroon’s external legal policy is interested in the “relevant” applicable law before an international jurisdiction. It is thus here that the State’s stratagem in respect of the most pertinent law, be it from the procedural or from the judgmental point of view are deployed.  More concretely, the Cameroonian State tries as much as possible to take advantage of the tactics it is being offered in international law. This consists of prioritizing a consensual resort to an international jurisdiction and, otherwise, to try neutralizing unilateral suing from the part of the adverse party including all the exercises aiming at delaying the judge’s final decision. In what concerns the depth of the judgment, Cameroon prioritizes the rules and norms of law that are favorable to her, and when deemed necessary, she carries out an interpretation which favors her interests.

However, one of the weaknesses of this external legal policy remains that of a State’s representation before an international jurisdiction, where the strong decentralization in the Cameroonian context weakens the efficiency, thus making it inevitable to coordinate the competence of the Cameroonian State’s representation before the international jurisdiction.


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21 août 2010 6 21 /08 /août /2010 13:29

 

L’affaire de la frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria (dite affaire Bakassi) n’est certainement pas le dernier contentieux territorial opposant des Etats africains que la Cour internationale de Justice aura à connaître durant son existence. En dépit de la proclamation du principe du respect des frontières héritées de la colonisation par le droit international régional africain (le principe de l’uti possidetis juris), une rapide incursion dans la jurisprudence de la Cour de La Haye depuis sa séance inaugurale du 18 avril 1946, jusqu’au 31 décembre 2003, révèle que cette juridiction a rendu vingt arrêts portant sur le contentieux territorial dont sept opposaient exclusivement des Etats africains, preuve irréfutable de la centralité des revendications territoriales dans la conflictualité africaine contemporaine. Qu’ils soient dans un état latent ou manifeste, ces conflits territoriaux sont aujourd’hui le révélateur du projet de plus en plus affirmé de certains Etats africains de concrétiser leurs ambitions géopolitiques et géostratégiques. Dès lors leur résolution, notamment par le procédé d’une délimitation concertée devient difficilement réalisable, dans la mesure où celle-ci « n’est très souvent envisagée qu’à la suite de la découverte de gisements d’hydrocarbures et sous la pression des sociétés multinationales intéressées par ces richesses tant convoitées ». Au contraire, l’enlisement dans lequel ils sombrent a conduit certains observateurs à considérer le règlement politico-diplomatico-judiciaire de l’affaire Bakassi entre le Cameroun et le Nigeria comme un cas d’école, un modèle qui servirait de référent dans la résolution des conflits en Afrique en général, et des conflits territoriaux en particulier. Deux raisons principales justifient cette prise de position, à savoir l’implication personnelle des hommes d’Etat en faveur de la paix et l’exploitation des vertus de l’outil diplomatique face à la rigidité de la règle juridique.

 

L’implication personnelle des hommes d’Etat en faveur de la paix

 

Trois hommes d’Etat principalement sont considérés comme les piliers de l’aboutissement heureux et définitif du différend portant sur la souveraineté sur Bakassi. Il s’agit du Président Paul Biya du Cameroun, Olusegun Obasanjo, ex-Président du Nigeria et l’ex-Secrétaire Général des Nations Unies Kofi Annan. Le premier, pour sa lucidité dans le recours aux instances judiciaires plutôt qu’à l’affrontement militaire, sa patience face à la multiplication des mesures dilatoires et vexatoires de la partie adverse et ses choix tactiques qui finalement ont été productifs. Le second, pour le courage et la détermination dont il a su faire preuve pour surmonter l’hostilité farouche des membres de son propre camp, y compris la haute hiérarchie militaire, qui s’opposaient à la mise en œuvre de l’arrêt de la Cour, alors considéré comme portant atteinte à l’intégrité du territoire national. Le dernier, enfin, pour son engagement sans retenue en faveur de la réconciliation de ces deux géants de l’Afrique davantage appelés à porter leurs sous-régions respectives au firmament de la prospérité plutôt que vers les abîmes d’une guerre injustifiée et injustifiable.

Il ressort donc de cette expérience que les hommes d’Etat véritablement épris de paix ne sont pas ceux qui se contentent de s’en remettre à un tiers plus ou moins impartial en cas de litige, mais plutôt ceux-là qui prennent des positions fortes et courageuses, parfois impopulaires, en faveur d’une réconciliation réelle et durable.

 

La diplomatie au secours du droit international

 

En dépit de ce concours de circonstances finalement heureux, il faut pourtant admettre que le règlement de « l’affaire Bakassi » n’a pas été simple, en témoignent les quinze années qu’elle a duré, dont huit émaillées d’une intense bataille juridique devant la Cour internationale de Justice. Il faut d’ailleurs relever qu’après avoir contesté la compétence de la Cour, le Président du Nigeria, sur fond de pressions internes et internationales, a déclaré après l’arrêt du 10 octobre 2002 qui proclamait la camerounité de Bakassi, que « le Nigeria n’a ni rejeté ni approuvé l’arrêt de la Cour ». Cette position ambiguë d’Abuja, révélatrice de l’inconfort politique dans lequel se trouvait le Président Obasanjo, ne pouvait laisser indifférent la diplomatie camerounaise, consciente de ce qu’un durcissement dans ses revendications – au demeurant légitimes – présentait le risque certain d’un raidissement des autorités nigérianes qui auraient été moins enclines à mettre en application l’arrêt de la Cour, malgré son caractère obligatoire, définitif et insusceptible de recours. C’est donc dans ce contexte toujours tendu que le Cameroun accepte d’ouvrir des négociations avec son voisin nigérian et qui vont aboutir à l’accord de Greentree du 12 juin 2006 sur les modalités de retrait du Nigeria de Bakassi, à travers lequel le pays du Président Biya accorde d’importantes concessions à son voisin de l’ouest (reconnaissance de droits fonciers coutumiers aux ressortissants nigérians vivant à Bakassi, maintien des forces policières, militaires et administratives nigérianes dans la zone pendant une période transitoire, etc.). Par cet accord en fait, « il s’agit [pour le Cameroun] d’obtenir le retrait du Nigeria tout en lui permettant de sauver la face ».

C’est donc par application de cet accord que le Nigeria procède à la rétrocession définitive de la zone encore occupée au Cameroun lors de la cérémonie de Calabar du 14 août 2008. Comme quoi sur la scène internationale, une défaite sur le champ judiciaire peut toujours être transformée en victoire politique et diplomatique.

Différend Sierra Leone/Guinée portant sur leur littoral maritime ; différend Namibie/Afrique du Sud concernant leur frontière dans l’embouchure du fleuve Orange ; différend Gabon/Guinée Equatoriale à propos de la souveraineté sur l’Ile de Mbanié, etc.

Maurice K. KAMGA, Délimitation maritime sur la côte atlantique africaine, Bruylant, Bruxelles, 2006, p. 11.

Lire le message de Ban Ki-Moon le 14 août 2008 à l’occasion de la rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun par les autorités du Nigeria.

Léon KOUNGOU, « Quand une péninsule pétrolière change de main » in Le Monde Diplomatique, octobre 2008, p. 20.

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