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10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 18:29

Cet arrêt porte sur un cas inédit dans les relations internationales, à savoir la prise en otage du personnel diplomatique et consulaire, qui plus est des Etats-Unis, par des ressortissants de l’Etat accréditaire (Iran), dans l’indifférence des autorités locales qui, pourtant, avaient été averties des risques d’attaques qui pesaient sur la mission diplomatique. Face à cette violation flagrante du droit international et particulièrement du droit diplomatique et consulaire, les Etats-Unis ont décidé de soumettre l’affaire à la Cour internationale de Justice (CIJ). Voici la quintessence de l’arrêt rendu le 24 mai 1980 qui, il faut le préciser, succède à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la même juridiction le 15 décembre 1979 en la même affaire.

Questions de procédure

Les bases de compétence invoquées par les Etats-Unis et les objections iraniennes

Les Etats-Unis ont saisi la CIJ par une requête introductive d’instance sur la base de l’article 36, § 1 du Statut de la Cour. Conformément à ce texte, « la compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu’à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur ». Ainsi, à la lumière des dispositions finales de ce paragraphe, les Etats-Unis se réfèrent à :

L’article I du protocole de signature facultative des conventions de Vienne de 1961 et de 1963 portant respectivement sur les relations diplomatiques et consulaires.

L’article XXI, paragraphe 2 du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 entre les Etats-Unis et l’Iran.

L’article 13 de la convention de 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques.

L’ensemble de ces dispositions visent à conférer compétence à la CIJ en cas de désaccord quant à l’interprétation ou l’application de la convention indiquée, dans la mesure où les parties ne parviennent pas à le résoudre par d’autres moyens pacifiques.

S’agissant de l’Etat iranien en revanche, il s’est refusé de comparaître devant la Cour de La Haye et s’est contenté de communiquer avec celle-ci par la transmission de deux lettres (en date du 9 décembre 1979 et du 16 mars 1980) qui exposaient la position du Gouvernement de la République islamique d’Iran à l’égard de la requête américaine. Il s’agissait, en clair, d’objecter la compétence de la Cour. En effet, pour les autorités iraniennes, « la Cour ne peut et ne doit se saisir de l’affaire qui lui est soumise par le Gouvernement d’Amérique » car elle « ne représente qu’un élément marginal et secondaire d’un problème d’ensemble dont elle ne saurait être étudiée séparément et qui englobe entre autres plus de vingt-cinq ans d’ingérences continuelles par les Etats-Unis dans les affaires intérieures de l’Iran, d’exploitation éhontée de notre pays et de multiples crimes perpétrés contre le peuple iranien, envers et contre toutes les normes internationales humanitaires (…) En conséquence, la Cour ne peut examiner la requête américaine en dehors de son vrai contexte à savoir l’ensemble du dossier politique des relations entre l’Iran et les Etats-Unis au cours de ces vingt-cinq années ».

La Cour est bien compétente

En dépit de la non-comparution de l’Iran à l’instance, la Cour a estimé que ce fait ne constituait pas un obstacle diriment à l’examen de l’affaire qui lui a été soumise. En effet, la non-comparution d’une partie à l’instance ne constitue pas un obstacle en tant que tel à la compétence de la Cour.

Toutefois, en vertu de l’article 53 du Statut de la Cour :

Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’abstient de faire valoir ses moyens, l’autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions.

La Cour, avant d’y faire droit, doit s’assurer non seulement qu’elle a compétence aux termes des articles 36 et 37, mais que les conclusions sont fondées en fait et en droit.

Sur la base donc de cette prescription, la Cour s’est attelée à examiner sa compétence au regard des articles susmentionnés. Non seulement elle établit qu’elle est compétente sur la base de l’article 36, en vertu des conventions auxquelles les Etats-Unis se sont référées, mais elle précise également, afin de réfuter l’argument soulevé par les autorités iraniennes, que le fait qu’un différend juridique constitue un aspect d’un différend politique plus vaste n’empêche pas que celui-ci soit soumis et examiné par la Cour (§ 37 in fine). La Cour s’offre en outre le loisir de rappeler, comme elle l’avait déjà fait dans l’affaire du plateau continental de la Mer Egée (arrêt du 19 décembre 1978), que le fait que des négociations se poursuivent au sujet de l’affaire qui lui est soumise ne constitue pas un obstacle à l’exercice de sa fonction judiciaire (§ 43).

Analyse du fond de l’affaire

Le traitement du fond de l’arrêt se fera au travers d’un double questionnement dont la réponse conditionne le jugement final de la Cour.

Les comportements incriminés par les Etats-Unis peuvent-ils être considérés comme juridiquement imputables à l’Etat iranien ?

Les conventions invoquées par les Etats-Unis dans la présente affaire établissent des obligations d’Etat à Etat et non directement vis-à-vis d’individus. Or, en l’espèce, ces faits ont été posés par un groupe de manifestants iraniens, qui se sont qualifiés eux-mêmes d’« étudiants musulmans partisans de la politique de l’iman ».  L’enjeu dans la présente affaire était donc d’établir si les comportements perpétrés par des individus pouvaient être imputables à leur Etat de rattachement. Sur ce point, si la Cour relève « le caractère initialement indépendant et non officiel de l’attaque de l’ambassade par les militants » (§ 59 in fine), elle conclut que « l’ayatollah Khomeini et d’autres organes de l’Etat iranien ayant approuvé ces faits et décidé de les perpétuer, l’occupation continue de l’ambassade et la détention persistante des otages ont pris le caractère d’actes dudit Etat » (§ 74). Il ne reste plus qu’à apprécier la conformité ou non d’un tel comportement au droit international.

De tels comportements sont-ils compatibles aux obligations incombant à l’Iran en vertu des traités en vigueur ?

L’Iran, tout comme les Etats-Unis, a signé les conventions de Vienne de 1961 et de 1963. En s’abstenant d’empêcher, puis en cautionnant l’envahissement de l’ambassade américaine a Téhéran, de même que les consulats américains de Tabriz et de Chiraz, il a remis au goût du jour le débat sur les obligations de l’Etat accréditaire en droit diplomatique, de même que dans le droit international général. Dans un dictum suffisamment précis, la Cour a une fois de plus clarifié la position du droit international sur la question. Elle affirme :

En vertu de diverses dispositions des conventions de Vienne de 1961 et de 1963, l’Iran avait, en tant qu’Etat accréditaire, l’obligation la plus formelle de prendre des mesures appropriées pour protéger l’ambassade et les consulats des Etats-Unis, leur personnel, leurs archives, leurs moyens de communication et la liberté de mouvement des membres de leur personnel (§ 61 in fine).

Elle conclut ainsi que

Cette carence du Gouvernement de l’Iran constituait en tant que telle une violation grave et manifeste des obligations dont l’Iran était tenu à l’égard des Etats-Unis en vertu des dispositions de l’article 22, §2, et des articles 24, 25, 26, 27 et 29 de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, ainsi que les articles 5 et 36 de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires (§ 67).

Si en l’espèce on peut ainsi constater la condamnation de l’Etat iranien par la juridiction mondiale, quelle leçon peut-on tirer de cette affaire du point de vue du droit international ?

Quelques leçons de l’arrêt

Le droit diplomatique et consulaire est un régime se suffisant à lui-même

En condamnant les agissements de l’Etat iranien, la Cour de La Haye, une fois de plus, consacre la responsabilité internationale de l’Etat. Toutefois, ce qui est intéressant ici c’est le fait que l’argumentaire de la Cour s’appuie entièrement sur les règles propres du droit diplomatique et consulaire qui, de ce point de vue « constituent un régime se suffisant à lui-même » (§ 86). En effet, la Cour rappelle que si les autorités de l’Etat accréditaire estiment que les membres du personnel diplomatique de l’Etat accréditant ne se conforment plus à leurs obligations découlant des conventions de Vienne, ils peuvent, en se référant à ces mêmes conventions, à tout moment et sans avoir à motiver leur décision les déclarer persona non grata, de même qu’ils conservent « le pouvoir discrétionnaire qu’a tout Etat accréditaire de rompre les relations diplomatiques avec un Etat accréditant et de demander la fermeture immédiate de la mission coupable » (§ 85). Pour la Cour, « ces moyens sont par nature d’une efficacité totale car, si l’Etat accréditant ne rappelle pas sur-le-champ le membre de la mission visée, la perspective de la perte presque immédiate de ses privilèges et immunités, du fait que l’Etat accréditaire ne le reconnaîtra plus comme membre de la mission, aura en pratique pour résultat de l’obliger, dans son propre intérêt, à partir sans tarder » (§ 86). Or, au lieu de se référer aux voies que le droit diplomatique lui ouvrait, l’Iran a cru devoir cautionner la prise en otage de personnes jouissant de l’immunité diplomatique qu’aucune circonstance ne saurait pourtant amoindrir, y compris un état de tension diplomatique entre les deux Etats (§§ 88-89).

Le droit diplomatique est un droit fondamental des relations internationales

Le droit international a pour fonction la régulation de la société internationale. Dans ce sens, chacune de ses branches joue ce rôle dans le secteur qui est le sien. Toutefois, il apparaît que de toutes ces branches du droit international, le droit diplomatique joue un rôle tout particulier dont la Cour a « fermement tenu [à] réaffirmer le caractère fondamental » (§ 91). En effet, en se référant à son ordonnance du 15 décembre 1979, la Cour a cru devoir rappeler que « dans la conduite des relations entre Etats, il n’est pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades et … c’est ainsi que, au long de l’histoire, des nations de toutes croyances et de toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet » (§ 91). Ainsi donc, les agissements des militants iraniens, y compris le comportement de leur Etat d’affiliation « ne peuvent que saper à la base un édifice juridique patiemment construit par l’humanité au cours des siècles et dont la sauvegarde est essentielle pour la sécurité et le bien-être d’une communauté internationale aussi complexe que celle d’aujourd’hui, qui a plus que jamais besoin du respect constant et scrupuleux des règles présidant au développement ordonné des relations entre ses membres » (§ 92).

En somme, le droit diplomatique et consulaire, en tant qu’il s’inscrit dans la perspective de la promotion de la coopération et des relations amicales entre les Etats, mérite une protection spécifique que la Cour s’est engagée à garantir.

Toutefois, s’agissant de l’article 13 de la convention de 1973 invoqué par les Etats-Unis pour fonder la compétence de la Cour, celle-ci « n’estime pas nécessaire de rechercher dans le présent arrêt si, dans les circonstances de l’espèce, l’article 13 de ladite convention peut servir de fondement à l’exercice de sa compétence pour connaître de ces demandes ».

En l’espèce, les Etats-Unis avaient également soumis la question au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il s’agit en l’occurrence de l’ayatollah Khomeini, Chah d’Iran entre 1979 et 1989.

Comme les autorités iraniennes ont d’ailleurs eu à l’affirmer dans les lettres invoquées plus haut.

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3 septembre 2010 5 03 /09 /septembre /2010 20:12

L’agent diplomatique en poste à l’étranger remplit une mission de service public pour le compte d’un Etat autre que celui sur lequel il se trouve. Pour cette raison, le droit international lui accorde un ensemble de privilèges et immunités dont le but est « non pas d’avantager les individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des Etats » (préambule de la convention de Vienne du 18 avril sur les relations diplomatiques). Toutefois, il est remarquable de constater que ces privilèges et immunités ne se limitent pas à la personne du diplomate et s’étendent aux membres de sa famille. Quelle en sont les raisons et l’étendue ? Avant de répondre à cette préoccupation, il est important d’identifier quels sont les membres de la famille de l’agent diplomatique concernés par lesdits privilèges et immunités.

 

Quels sont les membres de la famille de l’agent diplomatique qui bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques ?

En dépit de la consécration de l’article 1er aux définitions, la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ne précise pas clairement ce qu’il faut entendre par membres de la famille de l’agent diplomatique. Toutefois, à la lecture de l’article 37 de la convention, deux conditions doivent être réunies pour que ceux-ci bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques :

Les personnes concernées doivent faire partie du ménage de l’agent diplomatique

La notion de famille en droit diplomatique est appréciée de façon large et ne se réduit pas aux personnes absolument unies entre elles par des liens de mariage ou de filiation. En effet, ramenant les membres de la famille du diplomate aux personnes « qui font partie de son ménage », la convention de 1961 inclut toutes les personnes que celui-ci considère comme telle et qu’il héberge chez lui, quand bien même ceux-ci n’auraient pas un lien de filiation avec lui. En tout état de cause, afin d’éviter toutes sortes d’abus, la convention précise en son article 10 (1b) que l’arrivée ou le départ définitif d’une personne appartenant à la famille d’un membre de la mission, de même que le fait qu’une personne devient ou cesse d’être membre de la famille d’un membre de la mission doivent être notifiés à l’Etat accréditaire ; ce qui lui permet d’exercer sa fonction de régulation.

Les personnes concernées ne doivent pas être des ressortissants de l’Etat accréditaire

En outre, le membre de la famille du diplomate, pour bénéficier des privilèges et immunités diplomatiques, ne doivent pas être des ressortissants de l’Etat accréditaire. Seuls les ressortissants de l’Etat accréditant ou d’un Etat tiers peuvent prétendre à de tels avantages. Toutefois, contrairement aux membres de la famille du personnel administratif et technique qui ne bénéficient pas de tels avantages s’ils ont leur résidence permanente dans l’Etat accréditaire, cette dernière restriction ne concerne pas les membres de la famille de l’agent diplomatique. En d’autres termes, le fait pour le membre de la famille de l’agent diplomatique d’avoir sa résidence permanente au sein de l’Etat accréditaire n’affecte pas les avantages qu’il tire de la convention de Vienne.

Pourquoi protège – t – on les membres de la famille de l’agent diplomatique ?

L’agent diplomatique n’exerce pas ses fonctions en son nom, mais pour le compte de l’Etat qu’il représente. En ce sens, les privilèges et immunités dont il jouit ne lui appartiennent pas, mais reviennent à l’Etat dont il est le représentant et qui, seul, peut y renoncer (article 32, paragraphe 1 de la convention de Vienne). C’est dans le même sillage que l’on doit interpréter l’attribution des privilèges et immunités aux membres de sa famille. En effet, parce que le sort qui peut leur être réservé a une incidence indubitable sur l’action du diplomate, sur son équilibre psychologique et son rendement sur le plan professionnel, il était important que les membres de sa familles bénéficient également d’une protection afin d’éviter que l’Etat accréditaire ne fassent d’eux un objet de pression à l’encontre du diplomate. En d’autres termes, les membres de la famille du diplomate qui bénéficient de telles immunités ne doivent pas les considérer comme des passe-droits, mais tout simplement comme des garanties destinées à permettre au diplomate d’exercer ses fonctions en toute quiétude. Dans cette perspective, ceux-ci doivent éviter de se mettre dans des situations compromettantes qui, de toute évidence, affecteront la carrière du diplomate qui pourrait alors être déclaré persona non grata en raison des agissements inacceptables des membres de sa famille.

Quelle est l’étendue de la protection des membres de la famille de l’agent diplomatique ?

Les membres de la famille du diplomate bénéficient de la même protection que celle que le droit international accorde au diplomate. L’article 37 de la convention précise qu’ils bénéficient des privilèges et immunités mentionnés dans les articles 29 à 36 (au profit du diplomate). Il s’agit systématiquement de l’inviolabilité personnelle, l’immunité de juridiction et d’exécution, de même que les exemptions fiscales et franchises douanières.

L’inviolabilité signifie que le membre de la famille du diplomate ne peut être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention, de même que l’Etat accréditaire doit prendre toute mesure utile pour empêcher toute atteinte à sa personne, à sa liberté ou à sa dignité par des tiers.

L’immunité de juridiction signifie qu’il ne peut être jugé dans l’Etat accréditaire. Cette immunité est absolue en matière pénale et ne connaît que quelques exceptions en matière civile et administrative, en cas de procès relatif à un immeuble situé sur le territoire de l’Etat accréditaire et lui appartenant personnellement, en cas de succession ou dans le cas où il exerce une profession libérale ou commerciale. L’immunité de juridiction s’étend à l’immunité d’exécution, ce qui signifie que ses biens ne peuvent être saisis, de même qu’ils ne peuvent faire l’objet de mesures conservatoires.

En outre, à quelques exceptions près, le membre de la famille du diplomate est exonéré du paiement des impôts et de la douane dans la mesure où de tels actes s’apparentent à des actes de sujétion et d’allégeance incompatibles avec la souveraineté de l’Etat.  

Sur le plan temporel, les privilèges et immunités du membre de la famille du diplomate commencent à courir concomitamment avec celle du diplomate, à savoir dès que ce dernier pénètre sur le territoire de l’Etat accréditaire pour gagner son poste ou, s’il se trouve déjà sur ce territoire, dès que sa nomination a été notifiée à l’Etat accréditaire. Ils prennent fin au moment où ceux du diplomate prennent fin. Toutefois, « en cas de décès d’un membre de la mission, les membres de sa famille continuent de jouir des privilèges et immunités dont ils bénéficient, jusqu’à l’expiration d’un délai raisonnable leur permettant de quitter le territoire de l’Etat accréditaire » (article 39, paragraphe 3).

Sur le plan géographique, autant le membre de la famille du diplomate jouit des privilèges et immunités du diplomate sur tout le territoire de l’Etat accréditaire, autant en bénéficie – t – il dans les Etats de transit lorsqu’il voyage seul ou avec lui, afin de le rejoindre ou pour rentrer au pays. Il en est de même s’il lui arrivait de se retrouver dans un Etat tiers, en cas de force majeure (article 40, paragraphes 1 et 4).

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28 août 2010 6 28 /08 /août /2010 12:51

 

Le débat sur les immunités de l’Etat devant le prétoire étranger a pris de l’envergure en droit international ces dernières années. C’est que, face à l’interventionnisme de plus en plus croissant de l’Etat dans le secteur économique et l’implication accrue de ses plus hauts dirigeants dans des actes de violation des droits humains, la nécessité d’une réaction à l’échelle globale s’avérait nécessaire en vue de la préservation des droits des personnes privées. Il faut dire, d’entrée de jeu, que les immunités dont il est question dans cette étude s’entendent de l’immunité de juridiction et de l’immunité d’exécution. Il s’agit, pour le premier cas, du privilège par lequel un Etat échappe à la compétence des tribunaux étrangers et dans le second cas, de l’absence d’exécution forcée et de mesures conservatoires sur les biens de l’Etat. Pour Gerhard Hafner, ces immunités ont pour but « de protéger la souveraineté d’un Etat en soustrayant celui-ci à la juridiction d’un autre ; ainsi, [elles sont] la conséquence de l’absence de toute hiérarchie en droit international (…) ».

En outre, la définition de l’Etat doit être précisée en l’espèce. Traditionnellement, en droit international, l’Etat se définit comme une personne morale dotée de la personnalité juridique, et dont les éléments constitutifs sont le territoire, la population, le gouvernement et la souveraineté. Toutefois, cette définition, semble – t – il, est superficielle et la Convention des Nations Unies sur les immunités de l’Etat a cru devoir préciser en son article 2 que le terme « Etat » désigne l’Etat et ses divers organes de gouvernement, les composantes d’un Etat fédéral ou les subdivisions politiques de l’Etat, qui sont habilitées à accomplir des actes dans l’exercice de l’autorité souveraine et agissent à ce titre ; les établissements ou organismes d’Etat ou autres entités, dès lors qu’ils sont habilités à accomplir et accomplissent effectivement des actes dans l’exercice de l’autorité souveraine de l’Etat ; les représentants de l’Etat agissant à ce titre. L’Etat ici ne se limité donc pas à l’acteur public et institutionnel, mais prend également en considération les personnes physiques qui agissement en son nom et pour son compte.

Dès lors, et pour aller à l’essentiel, la question que nous nous posons est celle de savoir quel traitement le droit international réserve aux immunités traditionnellement reconnues à l’Etat dès lors que celui-ci, y compris ses représentants, se retrouvent devant le prétoire étranger ?

Pour répondre à cette question, nous reviendrons d’abord sur les sources des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger en droit international avant d’analyser leur portée juridique.


Les sources juridiques des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger en droit international


            Les immunités de l’Etat devant le prétoire étranger tirent principalement leur source, en droit international, de la coutume internationale, les conventions internationales n’y jouant qu’un rôle subsidiaire. En effet, il est de notoriété établie que « s’agissant des Etats, la matière des immunités est régie, historiquement, par des règles coutumières de droit international ». En effet, suite aux traités de Westphalie de 1648 qui mettent fin à la guerre de trente ans, la souveraineté devient le trait distinctif de l’Etat moderne sur la scène internationale. En vertu de cette souveraineté, qui confère à l’Etat « la compétence de la compétence », il va s’établir progressivement un principe selon lequel un Etat ne saurait se soumettre à la juridiction de ses pairs. C’est  ce que traduit la maxime latine « par in parem non habet juridictionem ». Cette position sera d’ailleurs reprise par la Cour internationale de Justice qui, pour condamner le mandat d’arrêt lancé par la Belgique contre Abdoulaye Ndombasi Yerodia, alors ministre des affaires étrangères de RDC au moment des faits qui lui étaient reprochés, n’a eu d’autres référents plus forts que la coutume internationale. La Haute Cour de La Haye fait en effet remarquer que « les immunités résultant du droit international coutumier, notamment celles des ministres des affaires étrangères, demeurent opposables devant les tribunaux d’un Etat étranger, même lorsque ces tribunaux exercent une compétence pénale élargie sur la base de diverses conventions internationales (…) ». Cette source coutumière a été progressivement clarifiée à travers la consécration de conventions internationales sur la question.

Les sources conventionnelles traitant de la question des immunités de l’Etat devant le for étranger ont connu une évolution relativement récente avec le phénomène de la codification. Il n’en demeure pas moins qu’elles demeurent des sources subsidiaires en la matière, le droit international coutumier en demeurant le fondement principal. Il s’agit de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 17 janvier 2005 et de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.

La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens est le premier texte de compromis à vocation universelle spécifiquement consacré à la question des immunités de l’Etat. Elle est l’aboutissement du travail de codification de la Commission du droit international (CDI) entamé en 1978. Conformément à ce texte, « un Etat jouit, pour lui – même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente convention » (article 5).

S’agissant de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, elle accorde à l’agent diplomatique une immunité de juridiction absolue en matière pénale, et une immunité de juridiction civile et administrative atténuée (article 31). Cette convention rentre bien dans la logique de la précédente, dans la mesure où l’agent diplomatique accrédité à l’étranger n’agit pas pour son propre compte, mais pour celui de l’Etat dont il n’est que le représentant.

Les sources juridiques des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger ayant été rapidement identifiées, il nous appartient désormais de nous appesantir sur leur portée en droit international.


La relativité des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger en droit international


            L’idée paraît toute simple : devant le prétoire étranger, l’Etat jouit des immunités de juridiction et d’exécution. Mais les choses ne sont pas aussi simples dans la mesure où il existe des circonstances dans lesquelles celles-ci peuvent être levées. C’est que tous les actes de l’Etat ne bénéficient pas de l’immunité devant le prétoire étranger. En effet, « seules se verront accorder l’immunité les activités ‘spécifiquement publiques’, notion qui correspond approximativement à celle d’actes de puissance publique ou d’actes adoptés dans le cadre d’une mission de service publique ». En ce sens faut-il encore apprécier la teneur des actes posés par l’Etat, afin de savoir si effectivement ceux-ci peuvent être rangés au titre d’actes de puissance publique et donc couverts par l’immunité ou non. Dans un pareil scénario, on parle d’immunité relative, par opposition aux immunités absolues qui n’admettent aucune exception.

Dans tous les cas, en se référant à la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, on identifie aisément les circonstances dans lesquelles l’immunité de juridiction de l’Etat ne peut être invoquée devant le for étranger. Il s’agit des cas où l’Etat a donné son consentement à l’exercice de la juridiction d’un autre Etat ; de la participation à une procédure devant un tribunal ; des demandes reconventionnelles ; des transactions commerciales ; des contrats de travail ; des dommages aux personnes ou aux biens ; de la propriété, possession et usages de biens ; de la propriété intellectuelle ou industrielle ; de la participation à des sociétés ou autres groupements ; des navires dont un Etat est le propriétaire ou l’exploitant et d’un accord d’arbitrage (articles 7 à 17). A contrario, cela signifie que dans toutes les autres hypothèses, l’immunité de juridiction de l’Etat demeure.

En ce qui concerne l’immunité d’exécution, le texte s’inscrit également dans le registre de la protection des biens de l’Etat. Ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’une saisie, d’une saisie-arrêt, d’une saisie-exécution que dans les hypothèses où l’Etat a explicitement consenti à l’application de telles mesures, qu’il a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de cette procédure ou qu’il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’Etat autrement qu’à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire de l’Etat du for (articles 18 à 19).

Pour Jean-Flavien Lalive, les limites à l’immunité absolue de l’Etat devant le prétoire étranger doivent être recherchées au-delà même de la volonté de la puissance publique. Pour celui-ci en effet, elles découlent du principe de justice ou de légalité. Il pense à ce titre que « c’est l’idée moderne de la sécurité juridique : l’Etat doit respecter la règle de droit, cette obligation étant assortie, dans les systèmes les plus évolués, d’un mécanisme de contrôle juridictionnel ». Pour cet auteur donc, seul le droit prime ; les immunités ne devant point s’apparenter  à un régime de non droit.

Malheureusement, dans le contexte international actuel, force est de reconnaître que l’immunité de l’Etat étranger demeure une « anomalie frappante mais inévitable d’un ordre juridique encore à demi anarchique ».

David RUZIE, Droit international public, Paris, Dalloz, 14e édition, 1999, p. 70.

Gerhard HAFNER, « L’immunité d’exécution dans le projet de convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens » in Droit des immunités et exigences du procès équitable, Paris, Pedone, 2004, p.

Isabelle PINGEL (dir.), « Introduction » in Droit des immunités et exigences du procès équitable, Paris, Pedone, 2004, p. 7.

La Cour internationale de Justice, La Haye, CIJ, 5e édition, 2004, p. 182.

Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le préambule de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats de leurs biens selon lequel « les règles du droit international coutumier continuent de régir les questions qui n’ont pas été réglées dans les dispositions de la présente Convention ».

Nous ferons abstraction ici de la convention européenne sur les immunités des Etats, adoptée le 16 mai 1972 et dont la portée opératoire est limitée aux Etats du Conseil de l’Europe ; de même que la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires dont le jeu des immunités s’inspire essentiellement de la convention de Vienne sur les immunités diplomatiques, toutefois à un degré moindre.

Patrick DAILLIER et Alain PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 7e édition, 2002, p. 452.

Conformément à l’article 21 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, certains biens de l’Etat, de par leur nature, bénéficient systématiquement de l’immunité de juridiction et d’exécution. Il s’agit notamment des biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires de l’Etat, des biens de caractère militaire, etc.

Jean-Flavien LALIVE, « Immunité de juridiction des Etats et organisations internationales » in RCADI, 1953 (III), p. 214.

Jean-Flavien LALIVE, Ibid., p. 290.

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