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6 décembre 2010 1 06 /12 /décembre /2010 21:18

La présente réflexion met en rapport deux concepts principaux : il s’agit de celui de réforme et ce lui de Nations Unies. Il est important de mettre en évidence le sens et le contenu de ceux-ci afin d’avoir une excellente maîtrise des enjeux de la présente réflexion. Par réforme, on entend un « changement en vue d’une amélioration ». En effet, réformer c’est « changer en mieux, corriger ». Cette définition du terme réforme nous permet de tirer un premier constat : on ne peut parler de réforme qu’après avoir fait le constat de l’échec, ou tout au moins des insuffisances d’une institution. C’est sur la base de ce constat d’échec que s’impose le souci de l’amélioration, c’est-à-dire en d’autres termes de la réforme. S’agissant en particulier des Nations Unies, le débat n’est plus sur le fait de savoir s’il faut réformer les Nations Unies, non ! Ce débat est dépassé aujourd’hui, il s’agit surtout de s’appesantir sur les raisons qui peuvent justifier une réforme et comment on peut y procéder.

S’agissant des Nations Unies, le terme peut être appréhendé sous un double prisme : d’abord sous un prisme minimaliste, c’est-à-dire dans un sens restreint. A cet effet, les Nations Unies renvoient alors précisément à l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui est une organisation créée par la Charte de San Francisco du 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre 1945. Conformément à l’article 7 de la Charte de l’Organisation, celle-ci comprend des organes principaux (au nombre de six) et des organes subsidiaires qui sont des organes créés par les organes principaux (c’est le cas par exemple du PNUD, du PNUE, de l’UNICEF, de la CNUCED, etc.).

Ensuite, le terme Nations Unies peut être appréhendé sous le prisme maximaliste, c’est-à-dire dans un sens large. Ici, les Nations Unies désignent alors ce que l’on nomme le système des Nations Unies. Il y a une nette différence entre organisation des Nations Unies et système des Nations Unies. Alors que l’ONU est une organisation internationale à part entière, le système des Nations Unies désigne l’ensemble constitué par l’ONU et les institutions spécialisées des Nations Unies, c’est-à-dire un ensemble d’organisations internationales à part entière, mais qui ont décidé d’harmoniser leurs actions avec l’ONU dans le cadre du système des Nations Unies (c’est le cas par exemple de l’OIT, de l’UNESCO, du FMI, de la Banque mondiale, etc.). Une telle harmonisation entre les activités de l’ONU et celles des institutions spécialisées est assurée par le Conseil économique et social des Nations Unies. En effet, conformément à l’article 63 de la Charte des Nations Unies, « le Conseil économique et social peut conclure avec toute institution [spécialisée] des accords fixant les conditions dans lesquelles cette institution sera reliée à l’Organisation (…) Il peut coordonner l’activité des institutions spécialisées en se concertant avec elles, en leur adressant des recommandations, ainsi qu’en adressant des recommandations à l’Assemblée générale et aux Membres des Nations Unies ».

Ces précisions étant faites, il nous semble plus pertinent de retenir ici le terme de Nations Unies dans son acception large, c’est-à-dire en tant que système des Nations Unies et ne pas se limiter exclusivement à l’ONU, dans la mesure où seule une action concertée entre l’ONU et les institutions spécialisées peut garantir l’effectivité des missions des Nations Unies.

Dès lors, la présentation qui va suivre s’articulera autour de deux principales questions qui en inspireront l’ossature : pourquoi réformer les Nations Unies ? Comment réformer les Nations Unies ? A ces deux questions nous apporterons bien évidemment une double réponse. Dans un premier moment nous montrerons les faiblesses des Nations Unies qui, de ce point de vue, justifient la réforme (I) et dans un second moment nous nous attarderons sur les voies ou les axes d’une réforme des NU  afin d’en garantir l’efficacité (II).

Les faiblesses des Nations Unies comme facteur justificatif de la réforme

Il s’agit ici de répondre à la question : pourquoi réformer les Nations Unies ? La réponse est simple : parce que celles-ci n’ont pas pu atteindre les buts qu’elles se sont assignées dans la Charte des Nations Unies. En effet, l’efficacité d’une organisation s’apprécie par rapport aux buts qu’elle s’est assignée. Et, conformément à l’article 1er de la Charte, les buts des Nations Unies sont les suivants : « maintenir la paix et la sécurité internationales (…) ; développer entre les nations des relations amicales (…) ; réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire (…) ; être un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes ».

Ainsi, s’agissant du maintien de la paix et de la sécurité internationales, en dépit de ce que les Nations Unies ont pu éviter la survenance d’une nouvelle guerre mondiale, ce serait un leurre, une utopie, une vue de l’esprit que de dire que le monde est en paix et en sécurité. Les menaces sont nombreuses et on recense encore des tensions et des conflits dans la majorité des continents (en Afrique : Somalie, Soudan ; en Asie : Palestine, Afghanistan, Irak ; en Europe : Russie avec la question de la Tchétchénie). Or, les interventions onusiennes, soit elles se sont traduites par une faible réaction (Tchétchénie, Darfour), soit par une relative indifférence (Rwanda). Une telle conclusion est tout simplement le reflet du caractère inachevé du travail des Nations Unies.

S’agissant de la résolution des problèmes d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, on observe encore d’importantes disparités, inégalités, entre Etats de la planète (entre Etats développés et sous développés, Pays émergents, pays à revenus intermédiaires, pays les moins avancés) tandis que les violations des droits de l’homme restent nombreuses (Birmanie, Irak, Soudan, etc.). Les Nations Unies jusque là n’ont pas pu réduire l’écart entre pays développés et pays en développement, au contraire on serait tenté de dire que cet écart s’est accru. Il s’accroît même également à l’intérieur des Etats.

Enfin, alors que les Nations Unies doivent être un centre où s’harmonisent les efforts des Etats vers ces fins communes, il est loisible de relever aujourd’hui l’émergence de pôles de concurrence aux Nations Unies : c’est le cas en matière de maintien de la paix et de la sécurité avec la création de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord : traité signé le 9 avril 1949 en période guerre froide afin de contenir la menace communiste en Europe. Elle regroupe aujourd’hui 28 Etats) et dont les interventions sont nombreuses, notamment à l’occasion de la guerre du Kosovo en 1999 et aujourd’hui elle est présente en Afghanistan pour accomplir des missions originellement confiées au Conseil de sécurité des Nations Unies.

C’est le cas également en matière de régulation internationale des questions monétaires et financières, où le FMI et la Banque mondiale, institutions spécialisées des Nations Unies en charge de ces aspects, sont concurrencés par le G8 et le G20, qui sont des organisations informelles et dont la composition est de toute évidence discriminatoire.

C’est donc au regard de cet ensemble d’insuffisances que nous envisagerons des axes d’une réforme.

Les axes d’une réforme : conditions de l’efficacité des Nations Unies

Il s’agit ici de répondre à la question comment réformer les Nations Unies ? Avant de répondre à cette question, il ne serait pas superflu de rappeler que le débat sur la réforme des Nations Unies ne date pas d’aujourd’hui. En effet, depuis le début des années 1960 et l’accès à l’indépendance d’un certain nombre d’Etats africains, la question se posait déjà. Il fallait alors adapter le système afin de prendre en compte la donne des nouveaux Etats qui venaient d’accéder à l’indépendance. Un ensemble de réformes ont donc été initiées et qui ont affecté les structures, les normes, les programmes, les procédures et les mécanismes de décision au sein des Nations Unies. On peut ainsi relever l’amendement de l’article 23 de la Charte, qui a porté le nombre des membres du Conseil de sécurité de 11 à 15 afin d’augmenter le nombre d’Etats africains ou encore l’amendement de l’article 61 qui fait passer le nombre des membres du Conseil économique et social de 18 à 27 puis de 27 à 54. On peut également citer la création par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) et du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) en vue d’accorder un intérêt supplémentaire à la problématique du développement des pays du Sud.

Toutefois, si des réformes ont déjà été entreprises, elles ont eu un relatif succès et méritent d’être poursuivies. C’est dans ce sens que s’inscrit la présente contribution. Dans ce sens, de nombreuses propositions ont été faites ; nous ne nous en tiendrons qu’à celles qui, de notre point de vue, sont essentielles et doivent être retenues. Elles portent autant sur les aspects opérationnels que sur les aspects de la gouvernance au sein des Nations Unies.

Les réformes au plan opérationnel 

Elles concernent le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la présence des Nations Unies sur le terrain.

En ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales, il s’agit ici de souligner la nécessaire réforme des opérations de maintien de la paix (OMP). Il s’agit donc de renforcer les capacités d’action des NU sur le terrain des conflits (qualité et quantité des effectifs), non seulement afin d’éviter des interventions sélectives, mais surtout qu’elles s’étendent systématiquement sur le terrain de la consolidation de la paix : organisation des élections, désarmement, protection des réfugiés, des populations civiles et assistance humanitaire.

En ce qui concerne la présence des Nations Unies sur le terrain, celle-ci doit être rationnalisée. En effet, dans un contexte de crise économique et de tensions budgétaires au sein des Nations Unies, dans un contexte où celles-ci sont essentiellement dépendantes des financements des Etats-Unis, il y a lieu de préconiser le regroupement de certaines organisations onusiennes dont les activités semblent concourir à la même finalité (cas de la FAO, du PAM en matière alimentaire ; de l’OMC, la CNUDCI et de la CNUCED en matière de commerce, etc.). Sur ce point, certains projets ont également proposé le regroupement de toutes les agences des Nations Unies dans des locaux communs sous la dénomination « Maison des Nations Unies » afin d’en simplifier la coordination des activités au sein des Etats.

Les réformes au plan de la gouvernance des Nations Unies

C’est d’abord la gouvernance institutionnelle. Il s’agit de revendiquer ici une plus grande représentativité des Etats au sein des organes et institutions des Nations Unies (Conseil de sécurité, FMI, Banque Mondiale par exemple) où certains continents, particulièrement le continent africain, sont marginalisés.  En effet, point n’est besoin de rappeler que les institutions internationales, pour l’essentiel, sont encore le reflet des vestiges de la seconde guerre mondiale. Pour le Président Sarkozy qui a constamment défendu cette position, « on ne peut pas gouverner le monde d’aujourd’hui, celui du XXIème siècle avec les institutions du XXème siècle (…) élargir le Conseil de sécurité ce n’est pas qu’une question d’équité, c’est une question d’efficacité (…) Il faut faire en sorte que nos institutions internationales soient plus représentatives, parce que si elles sont plus représentatives, nos institutions seront plus fortes, plus efficaces et plus respectées ». (Discours AGNU de 2008). Cette position a été constamment reprise par le Chef de l’Etat du Cameroun dans ses postures de politique étrangère. Pour lui, dans son discours à l’AGNU 2009, « seule une ONU rénovée, plus démocratique, plus crédible et plus efficace continuera de focaliser les espoirs et la confiance des peuples ». Mais on peut également retrouver une position similaire lors de ses interventions à Africa 21 les 18-19 mai 2010, lors du Sommet Afrique-France des 31 mai-1er juin 2010, mais également à l’occasion de son discours à l’AGNU 2010.

C’est ensuite la gouvernance managériale. Il s’agit d’attendre des Nations Unies qu’elles disposent d’un personnel parmi les plus performants. Lorsqu’on lit l’article 101 § 3 de la Charte, « la considération dominante dans le recrutement et la fixation des conditions d’emploi du personnel doit être la nécessité d’assurer à l’Organisation les services de personnes possédant les plus hautes qualités de travail, de compétence et d’intégrité ». Ce qui n’a pas toujours été le cas. En effet, quand on s’intéresse au recrutement du personnel des Nations Unies, on constate que les Etats membres essaient à tout prix de placer leurs ressortissants, indépendamment de leur aptitude pour le poste à pourvoir. Comme le relevait d’ailleurs l’ancien Secrétaire général des Nations Unies M. Kofi Annan, « nous ne récoltons pas ce qu’il y a de meilleur. Les gouvernements ont tendance à nous envoyer les personnes qu’ils n’arrivent pas à caser ». Il s’agit donc ici de revendiquer une plus grande rigueur dans le recrutement du personnel, afin de doter les différentes institutions des personnels les plus performants, au regard des missions fondamentales qui sont celles des Nations Unies.

En conclusion, l’idée ici est de dire qu’une réforme peut contribuer à améliorer le fonctionnement des Nations Unies, mais elle n’en constitue pas une garantie systématique.

Tout d’abord, une réforme accélérée et mal conduite présente plus de risques que d’avantages pour la stabilité de la société internationale. Il s’agit d’éviter d’aboutir en fin de compte à une organisation fragile, du type SDN, qui n’a pas pu empêcher le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Il s’agit donc de dire qu’une réforme des Nations Unies ne doit pas faire abstraction des rapports de force qui structurent les relations internationales.

En outre, il convient d’avoir à l’esprit que d’autres facteurs peuvent expliquer l’inefficacité des Nations Unies. Il s’agit par exemple de l’absence de volonté politique des Etats eux-mêmes ; ce que Ghassan Salamé appelle le « paradoxe fondateur », c’est-à-dire des Etats qui créent des organisations et qui par la suite ne sont pas prêts à se conformer à ses exigences (collaboration avec l’organisation, respect de ses décisions) ou à lui doter des moyens nécessaires pour son fonctionnement efficace (versement des contributions financières, fourniture des troupes pour les OMP).

En fin de compte, si nous appelons de tous nos vœux une réforme des Nations Unies, celle-ci doit être menée de façon mesurée, en tenant compte des rapports de force qui structurent encore les relations internationales, si l’on veut parvenir à des institutions internationales plus efficaces.

 

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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 21:42

Le débat autour du terrorisme international a indéniablement pris des proportions considérables depuis les attentats tristement spectaculaires et sanglants du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis qu’aujourd’hui, aucun Etat ou groupe d’Etats, voire même des organisations privées, ne reste à la traîne quant aux mesures à adopter afin d’en conjurer les méfaits. En effet, bien que la controverse doctrinale persiste sur la définition de la notion même de terrorisme, l’unanimité est quasi-universelle quant à son rejet comme mode d’expression ou de revendication politique. C’est dans ce sens que l’Organisation des Nations Unies (ONU), embryon d’un gouvernement à l’échelle mondiale, a condamné cette pratique dans une succession de résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité, mais également à travers la mise en place d’une stratégie mondiale de lutte contre le phénomène.

Cependant, il n’en demeure pas moins que le terrorisme existe, qu’il persiste et continue malheureusement à endeuiller de nombreuses familles innocentes. L’Afrique, centre d’intérêt de cette réflexion, pose évidemment le problème de sa vulnérabilité vis-à-vis du phénomène. Et, contre toutes attentes, le continent noir, carrefour officialisé de tous les malheurs terrestres imaginables (conflits armés interminables, famines intarissables, pandémies incurables, etc.), est resté globalement en marge de celui-ci. Si nous nous félicitons de ce « contraste » plutôt heureux, il ne devrait pourtant pas dissimuler le sens de la présente réflexion dont la vocation est éminemment interpellative : l’Afrique demeure un terreau socio-sécuritaire fertile au terrorisme international, d’où l’urgence de la mise en place d’un système antiterroriste efficient sur le continent avant que ne survienne un retournement de situation qui ferait du continent africain une place forte de cette pratique peu recommandable.

 

L’Afrique, un terreau socio-sécuritaire fertile au terrorisme international

 

Conduite sous le leadership des Etats-Unis après la tragédie du « mardi noir », « la guerre contre le terrorisme » a été un échec cuisant ; en témoigne la prolifération des attentats meurtriers à l’échelle planétaire, notamment à Bali, Djakarta, Madrid, Istanbul, Islamabad, Bombay, en Afghanistan et en Irak, mais également à Djerba, Casablanca et Mombasa, pour ne citer que ces exemples. C’est la preuve irréfutable que l’Afrique n’est pas véritablement en marge de ce phénomène de propagation de la terreur. Dans ce sens, il est loisible de relever que si certains de ces actes sont perpétrés par des africains eux-mêmes, expression d’un ras-le-bol incoercible et d’un tissu social en déliquescence, d’autres, en fait, sont facilités par la fragilité des systèmes sécuritaires, poreux aux incursions extérieures déstabilisatrices.

 

L’Afrique, un moule de terroristes en puissance

 

Le terrorisme, aujourd’hui, est un phénomène planétaire. Pour Hamid Barrada, « le danger terroriste est réel, et il serait sage d’en prendre toute la mesure ». Tel est le constat : il est implacable, mais relève d’un pragmatisme éclairé. Qu’est-ce qui peut donc autant motiver ces marchands de l’apocalypse dans leur basse besogne ?

C’est que le terrorisme apparaît aujourd’hui comme le symptôme d’une société internationale malade ; malade de ses injustices, de ses disparités et de ses exclusions. Dans des sociétés africaines marquées par des systèmes démocratiques qui restent à construire, une inégale répartition des ressources économiques disponibles, l’existence de bidonvilles géants, cimetières vivants de tant d’espoirs déçus, réceptacles de générations entières frustrées et en mal d’être, en mal de devenir, bref, en défaut d’avenir, et en fin de compte, creuset idéal pour les sergents recruteurs de l’Internationale terroriste, le terrorisme ne peut que y faire son lit. C’est d’ailleurs l’argument majeur qui a été mis en avant lors des attentats de Casablanca au Maroc le 16 mai 2003 où les 14 terroristes étaient marocains, tous issus du bidonville de Sidi Moumen où la police ne pénétrait plus ; ou encore de la prise d’otages au Nigeria le 31 juillet 2004 de 165 travailleurs de la société américaine Mallard Bay, qui opère en sous-traitance avec SHELL, par une trentaine de ravisseurs autochtones qui réclamaient des emplois et une meilleure répartition des revenus issus du pétrole local.

Ce qu’il faut retenir des développements qui précèdent, c’est que même si le terrorisme n’est pas encore profondément ancré dans les pratiques africaines, le continent renferme les germes d’un terrorisme en puissance. Le procédé risque de prendre de l’ampleur et éclore véritablement avec le temps si la situation sociale demeure statique et que les marchands d’illusions parviennent à récupérer les mécontentements populaires pour en faire une arme à leur disposition.

 

L’Afrique, une cible facile du terrorisme international

 

« L’Afrique a été et restera pour l’avenir prévisible un continent mûr pour des actes terroristes », ainsi s’exprimait un responsable du Pentagone, soulignant que Washington s’employait à renforcer sa coopération militaire avec les africains en vue de prévenir les attentats terroristes. Une telle affirmation, aussi pessimiste qu’elle puisse paraître pour le continent noir, n’a certainement pas été faite ex-nihilo. En effet, c’est en s’inspirant de l’état de santé sécuritaire sur le continent africain que ce stratège américain a pu formuler sa théorie : porosité des frontières (avec ce que cela comporte comme circulation des personnes douteuses et des arsenaux de guerre), formation policière et matériels antiterroristes insuffisants ou inadaptés, systèmes de prévention dans les transports en commun approximatifs, et bien d’autres lacunes encore qu’il convient de combler.

Sur la base de ce diagnostic lucide, l’on peut déduire que l’Afrique présente des carences au plan stratégique et des insuffisances sécuritaires qui, éventuellement, peuvent attirer l’attention des terroristes internationaux en vue de s’attaquer aux intérêts occidentaux, ou autres, beaucoup moins protégés ici qu’en Occident. Il n’y a qu’à s’en référer aux attentats simultanés contre les ambassades américaines de Naïrobi au Kenya et Dar-Es-Salem en Tanzanie en août 1998, l’attentat contre la synagogue israélite de Djerba en Tunisie le 16 avril 2001, le double attentat de Mombasa au Kenya, commis contre les intérêts israéliens, le 28 avril 2002 ou encore la prise en otage d’employés français opérant pour la société minière Areva au Niger le 16 septembre 2010 par Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI).

Ainsi, face au renforcement des mesures sécuritaires en Occident, il n’est pas exclu que les terroristes internationaux se rabattent sur l’Afrique, où la marge de nuisance demeure plus importante; des mesures de prévention et de réaction doivent donc être prises en urgence.

 

L’urgence d’un système antiterroriste efficient en Afrique

 

Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, l’Afrique reste une cible relativement accessible au terrorisme international. Des mesures opportunes, fortes, mais surtout diligentes doivent donc être adoptées. Celles-ci peuvent relever, soit d’une stratégie directe de lutte contre le terrorisme, soit alors d’une stratégie indirecte, destinée à contrecarrer le phénomène à sa base.

 

Les méthodes directes de lutte contre le terrorisme en Afrique

 

La lutte directe contre le terrorisme en Afrique se situe à l’avant-garde des déficits sécuritaires évoqués dans le paragraphe précédent. Il s’agit donc d’un ensemble de mesures destinées à combattre de front les actes de terrorisme tels qu’ils se manifestent dans l’espace africain. Celles-ci consisteront concrètement à renforcer les mesures de sécurité et de contrôle aux frontières des Etats africains, à développer les moyens d’appropriation des mécanismes juridiques et institutionnels de lutte contre le terrorisme établis sur le continent, à assurer l’effectivité de la coopération policière et judiciaire, la lutte contre le financement du terrorisme, le trafic illicite des armes et matériels explosifs, mais également et surtout l’acquisition d’une technologie de pointe de nature à détecter les engins nocifs les plus discrets, notamment dans les lieux de transport en commun comme les aéroports.

Toutefois, parce que le risque zéro n’existe pas, il est nécessaire de réprimer avec la plus grande fermeté les actes terroristes perpétrés, en identifiant non seulement les auteurs et complices, mais aussi les commanditaires ; d’où la nécessité d’une législation idoine permettant de délimiter le sens du concept et son appropriation par les ordres juridiques nationaux, de même que l’existence de forces de police et des autorités judiciaires spécialement formées sur les questions d’antiterrorisme.

 

Les méthodes indirectes de lutte contre le terrorisme en Afrique

 

Les manœuvres et stratégies de lutte contre le terrorisme ne peuvent véritablement se réaliser et être efficaces que si elles sont inscrites dans une démarche qui dépasse le traitement symptomatique du phénomène pour appréhender les causes profondes qui l’animent. En ce sens, lors de son intervention à l’occasion de la réunion intergouvernementale de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre le terrorisme à Alger du 11 au 14 septembre 2002, le Président de la République algérienne Abdel Aziz Bouteflika affirmait ceci : « le combat contre la pauvreté est peut-être l’élément premier indispensable de la lutte contre le terrorisme, car si la pauvreté est humainement et moralement inacceptable, elle est un facteur destructeur des vertus humaines et des bases de la solidarité sociale ». Il ressort de ces propos hautement significatifs que plus de justice sociale (accès à l’eau potable, à l’alimentation de base, à l’éducation élémentaire et aux soins primaires) contribuerait, à n’en point douter, à bâtir des piliers de stabilité pour tout le continent et, ipso facto, à réduire la sensibilité aux discours terroristes.

Il s’agit donc là d’une interpellation sans équivoque à l’endroit de tous les leaders africains (politiques, religieux, traditionnels, etc.), mais également de la communauté internationale, qui doivent se hisser à la hauteur de leurs responsabilités et de leurs engagements pour faire prévaloir le droit à la justice des plus faibles et des plus démunis. L’enjeu, à notre sens, est doublement salutaire : il est humanitaire d’abord, car il préserve l’Afrique de sinistres supplémentaires ; il est stratégique ensuite et s’inscrit dans une vision à long terme de politique économique, tant il est vrai qu’aucun développement n’est envisageable sans la stabilité. Et en la matière, il va de soi que la prévention vaut toujours beaucoup mieux que toute forme de thérapie.

Il s’agit des attentats contre les tours jumelles du World Trade Center à New York, contre le Pentagone à Washington et du crash d’un avion en Pennsylvanie, dont le point de chute, vraisemblablement, était la Maison Blanche, et dont le bilan s’évalue à 2986 pertes en vies humaines, in http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentats_du_11_septembre_2001.

On peut lire à ce sujet John Brown, « Les périlleuses tentatives pour définir le terrorisme » in Le Monde Diplomatique, N°579, février 2002, pp. 4-5 ou encore Jacques Derrida, « Qu’est-ce que le terrorisme ? » in Le Monde Diplomatique, N°599, février 2004, p. 16.

Résolution 1368 du 12 septembre 2001 suite aux attentats du WTC et du Pentagone ; Résolution 1450 du 13 décembre 2002 condamnant les attentats terroristes perpétrés à Mombasa au Kenya ; Résolution 1530 suite à l’attaque à la bombe de Madrid du 11 mars 2004 ; Résolution 1618 du 4 août 2005 condamnant les attentats terroristes en Irak., etc.

La stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme a été adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 8 septembre 2006, sous la forme d’une résolution (A/RES/60/288) à laquelle est annexé un plan d’action. Cette stratégie est fondée sur la condamnation systématique, sans équivoque et vigoureuse par les Etats membres du terrorisme sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, quels qu’en soient les auteurs, les lieux et les buts, ainsi que sur l’adoption de mesures concrètes visant à éliminer les conditions propices à la propagation du terrorisme et à renforcer la capacité individuelle des Etats et de l’ONU à prévenir et combattre le terrorisme, tout en veillant à la protection des droits de l’homme et au respect de l’Etat de droit. Elle vient appuyer l’action de l’équipe spéciale antiterroriste créée par le Secrétaire Général des Nations Unies en juillet 2005 pour assurer la coordination et la cohérence de l’action menée à l’échelle du système des Nations Unies et complète la résolution 1373 du 28 septembre 2001 adoptée par le Conseil de Sécurité.

Il s’agit ici d’une question de proportionnalité, car si des actes de terrorisme sont bel et bien perpétrés en Afrique, ce n’est pas avec la même fréquence, la même violence et la même acuité que dans le reste du monde,  notamment en Asie. En outre, ceux-ci semblent bien circonscrits dans la région du Maghreb et dans le Sahel.

Dixit le Président américain George W. Bush lors de son discours à l’Académie militaire de West Point le 1er juin 2002.

Attentat de Djerba en Tunisie le 16 avril 2001 ; attentat de Casablanca au Maroc le 16 mai 2003 ; attentat de Mombasa au Kenya le 28 novembre 2002.

Pierre Conesa parle d’un terrorisme « mondialisé », tant par ses auteurs que ses victimes. Cf. Pierre CONESA, « Aux origines des attentats suicides » in Le Monde Diplomatique N°603, juin 2004, pp. 14-15. Lire dans le même sens le discours du Président Paul Biya à la tribune des Nations Unies à l’occasion de l’Assemblée générale de 2008.

Hamid BARRADA, « Le Royaume à l’épreuve » in Afrique Magazine, juin 2003.

Lire Marie Joannidis, « Corne de l’Afrique : enjeux stratégiques et conflits » in www.rfi.fr/fichiers/MFI/PolitiqueDiplomatie/1194.asp.

Ce double attentat était dirigé contre un hôtel où logeaient pour l’essentiel des touristes israéliens et un avion transportant des voyageurs originaires de l’Etat hébreu.

Il s’agit précisément des normes dont la portée juridique est plus ou moins certaine, et qui sont développées dans des textes à vocation continentale tels que la convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme adoptée en juillet 1999 et son protocole de juillet 2004, de la déclaration de Dakar contre le terrorisme d’octobre 2001, du plan d’action pour la prévention et la lutte contre le terrorisme de septembre 2002, mais également des organes d’action comme le Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme et le Conseil de paix et de sécurité de l’Union Africaine, dont le mandat concerne tout aussi bien des aspects liés à la lutte contre le terrorisme.

En dépit des critiques plus ou moins fondées que l’on pourrait lui faire, la convention OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme propose une définition de l’acte terroriste à l’article 1er § 3. Il s’agit de :

« (a) tout acte ou menace d’acte en violation des lois pénales de l’Etat Partie susceptible de mettre en danger la vie, l’intégrité physique, les libertés d’une personne ou d’un groupe de personnes, qui occasionne ou peut occasionner des dommages aux biens privés ou publics, aux ressources naturelles, à l’environnement ou au patrimoine culturel et commis dans l’intention :

     (i) d’intimider, provoquer une situation de terreur, forcer, exercer des pressions ou amener tout gouvernement, organisme, institution, population ou groupe de celle-ci, d’engager toute initiative ou de s’en abstenir, d’adopter, de renoncer à une position particulière ou d’agir selon certains principes ; ou

      (ii) de perturber le fonctionnement normal des services publics, la prestation de services essentiels aux populations ou de créer une situation de crise au sein des populations ;

      (iii) de créer une insurrection générale dans un Etat partie.

(b) Toute promotion, financement, contribution, ordre, aide, incitation, encouragement, tentative, menace, conspiration, organisation ou équipement de toute personne avec l’intention de commettre tout acte mentionné au paragraphe a (i) à (iii) ».

En outre, elle enjoint les Etats parties à incriminer en toute priorité dans leurs ordres juridiques nationaux les actes terroristes tels qu’ils sont définis par l’article 1er § 3.

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 09:35

La problématique de la gouvernance mondiale ne signifie pas l’avènement d’un gouvernement mondial à l’image de ce qui se passe dans le cadre d’un Etat. Elle suppose plutôt la construction d’un système de régulation d’envergure mondiale en vue de la gestion et du règlement des problèmes qui se posent à l’ensemble de la planète. Pour Zaki Laïdi, la gouvernance mondiale c’est « l’ensemble des processus par lesquels des règles collectives sont élaborées, décidées, légitimées, mises en œuvre et contrôlées » . Dans ce sens, l’enjeu de gouvernance mondiale est de peser collectivement sur le destin du monde en instaurant un système de régulation des nombreuses interactions qui aujourd’hui dépassent le cadre de l’activité d’un seul Etat. La problématique de la gouvernance mondiale se justifie non seulement par la différence des préférences dans un monde hétérogène (sur le plan idéologique, économique, culturel, etc.) mais également par la montée des problèmes globaux (paix et sécurité internationales, protection de l’environnement, des droits de l’homme, lutte contre le terrorisme et la prolifération nucléaire, etc.). Il s’agit donc de trouver des solutions collectives à ces problèmes qui affectent l’ensemble de la planète. Cette réflexion trouve donc toute sa pertinence dans la mesure où il s’agit de s’interroger sur le rôle que joue l’Afrique dans la conduite des affaires mondiales.

 

Le constat : le rôle marginal de l’Afrique dans la conduite des affaires mondiales

 

Nous ferons le tour de quelques secteurs où des problèmes de gouvernance à l’échelle mondiale se posent. Dans le domaine de la gouvernance politique et économique : l’Afrique s’apparente d’avantage à un objet de préoccupation qu’à un acteur dans la conduite des affaires mondiales, y compris celles qui le concernent au premier chef. Il reçoit le diktat de la communauté internationale sur les attitudes à adopter (démocratisation, respect des droits de l’homme, etc.) plus qu’il ne fait entendre sa voix. Dans le domaine économique, les préférences économiques ont été définies et globalisées en dehors de la volonté des Etats africains (privatisation sur le plan national, libre-échange sur le plan international, etc.) et parfois à l’encontre de ses intérêts. Dans le secteur de l’environnement, qui prend de plus en plus de l’envergure, en dépit de l’élaboration de normes internationales, les grandes avancées sont le résultat d’ententes entre les grandes puissances (Etats-Unis, Chine, Union Européenne, Inde, Brésil) plus que le fait d’une concertation prenant en compte les intérêts de toutes les parties. Il semblerait que l’Afrique ait besoin de se greffer à la France pour faire entendre sa voix (cas du sommet de Copenhague de décembre 2009 sur les changements climatiques). Dans la sphère institutionnelle, l’Afrique est aujourd’hui absente, voire sous représentée dans les grandes sphères d’élaboration, de prise et de contrôle des décisions sur le plan international (Conseil de sécurité des Nations Unies, FMI, Banque Mondiale, G8, G20).

 

Les facteurs explicatifs de la marginalisation de l’Afrique dans la gouvernance mondiale

 

Ces facteurs sont de divers ordres : historique (passé colonial et perception que les autres ont de l’Afrique, y compris le regard que les africains portent sur eux-mêmes) ; économique (l’Afrique reste le continent où la pauvreté et le sous développement sont les plus criants ; elle contribue pour à peine 3% du commerce mondial et demeure essentiellement dépendante de l’aide extérieure en termes de dons et de prêts) ; politique et sécuritaire (continent instable sur le plan politique – déficit démocratique, changements anticonstitutionnels de gouvernement, problèmes de gouvernance – et sécuritaire – guerres civiles, émeutes, violations massives des droits de l’homme et déficit de l’Etat de droit). Toutes choses qui affectent sa crédibilité sur la scène internationale.

 

Les voies et moyens en vue de renforcer la place de l’Afrique dans la gouvernance mondiale

 

Sur ce point, les pistes sont nombreuses. La diplomatie camerounaise en a formulé quelques unes. Elles découlent des discours du Président de la République à l’occasion de grands sommets internationaux (sommet Afrique-France des 31 mai et 1er juin 2010, Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2010 à l’occasion du débat général, sommet de la Francophonie des 22-24 octobre 2010) qui, en réalité, confirment les conclusions auxquels sont parvenus les participants à la conférence de Yaoundé des 18-19 mai 2010 dénommée « Africa 21 ». Globalement, elles concernent la gouvernance institutionnelle. Il s’agit de l’attribution d’une place de membre permanent au continent africain au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et l’admission d’un autre Etat africain au sein du G20 aux côtés de l’Afrique du Sud qui en fait déjà partie ; position que semble d’ailleurs partager la diplomatie française (discours du Président Sarkozy à l’occasion du débat général au sein de l’Assemblée générale des Nations Unies de 2008 et 2009, de même qu’à l’occasion du sommet Afrique-France de 2010).

Toutefois, il y a lieu de dire que l’affirmation croissante de l’Afrique dans la gouvernance mondiale exige d’aller au-delà de revendications au sein des instances internationales. Le rôle de l’Afrique dans la gouvernance mondiale s’accroîtra également par un certain nombre de réformes et de décisions d’ordre interne au continent. Il s’agit d’abord de la définition de positions communes africaines au sein des instances internationales (parler d’une même voix comme le fait constamment l’Union européenne). Ainsi par exemple, au lieu de revendiquer une place pour un Etat africain au sein du Conseil de sécurité ou du G20, celle-ci peut être attribuée à la Commission de l’Union Africaine qui, de ce point de vue, exprimera et défendra les vues communes à toute l’Afrique comme c’est le cas de la Commission de l’UE au sein du G20. Il s’agit ensuite de renforcer les piliers de la stabilité en Afrique : il s’agit de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance qui, de surcroît, renforcent la crédibilité (en termes d’image et de prestige) d’un acteur sur la scène internationale. En outre, un accent doit être mis sur le renforcement de la croissance économique en Afrique, y compris à travers l’amélioration de la sécurité alimentaire. Enfin (last but not the least), un accent doit être mis dans le secteur de la recherche scientifique en vue de promouvoir les idées africaines dans les cénacles internationaux. L’enjeu ne se limitera donc pas ici tout simplement à la proposition de solutions aux problèmes internationaux, mais également à participer à la détermination de l’agenda international, à la formulation des questions qui vont rythmer les débats internationaux car la façon dont une question est posée reflète les intérêts des Etats qui la posent.

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23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 20:36

INTRODUCTION GENERALE

- Définition des concepts

L’expression « justice internationale » met en rapport deux concepts qu’il convient au préalable de définir afin de mieux comprendre les développements qui vont suivre. Il s’agit d’une part du mot « justice » et d’autre part de l’adjectif « international ».

Le mot justice n’est pas aisé à définir. Pour le Dictionnaire des termes juridiques, il s’agit d’un « concept désignant le fait de faire ou dire ce qui est juste, c’est-à-dire conforme à l’équité ou à la norme de droit définissant les règles régissant les rapports entre les individus. [C’est aussi une] institution chargée de statuer sur les litiges entre individus ou transgressions par eux à la norme légale ». En ce sens, la justice doit être appréhendée aussi bien sur le plan matériel, en tant que activité consistant à trancher un litige sur la base du droit ou de l’équité, que sur le plan organique, comme l’institution investie d’une telle mission.

L’adjectif international, quant à lui, a également deux dimensions : d’une part, international renvoie à interétatique, c’est-à-dire tout ce qui met en situation deux Etats. D’autre part, international renvoie à trans-étatique, c’est-à-dire tout phénomène qui transcende la frontière d’un Etat, quand bien même il ne serait pas le fait d’un acteur étatique. Exemple : un commerçant qui commande de la marchandise dans un pays étranger ; on est bien là face à une transaction internationale.

En somme, la justice internationale peut être entendue comme le fait pour une institution, sur la base du droit ou de l’équité, de trancher des litiges entre des acteurs étatiques ou non étatiques. Il est important de relever dans cette définition que la justice internationale n’est pas forcément le fait de juridictions internationales et ne concernent pas seulement les Etats. Mais, par souci de commodité, nous nous en tiendrons à la justice entre Etats.

- La spécificité de la justice internationale

On relève trois principaux caractères de la justice internationale qui la distinguent de la justice étatique.  

En premier lieu, les principaux justiciables sont les Etats, ce qui tranche nettement avec la justice étatique où les principaux justiciables sont les individus. Tout le système juridictionnel international est donc aménagé pour tenir compte de ce paramètre.

En second lieu, la justice internationale a un caractère facultatif. Cela signifie qu’un Etat, en vertu de sa souveraineté, ne peut être attrait devant les juridictions internationales sans son consentement. Ainsi, pour les Professeurs Patrick Daillier et Alain Pellet, « aussi longtemps que survivra la souveraineté étatique, il sera difficile d’établir une justice internationale obligatoire, autorisant chaque Etat à citer unilatéralement un autre Etat devant une juridiction internationale à propos de n’importe quel différend ».

En troisième lieu enfin, la justice non institutionnalisée, autrement dit l’arbitrage, occupe une place très importante sur le plan international. Cela tient aussi bien aux données historiques (l’arbitrage a précédé l’apparition des premières juridictions internationales permanentes) qu’à des considérations techniques (l’arbitrage présente l’avantage de la souplesse et même de la discrétion chères aux Etats).

- Problématique générale de l’étude

Nous nous interrogeons ici, d’une part, sur les enjeux de la justice internationale (pourquoi la justice internationale ?) et, d’autre part, sur les modalités de sa mise en œuvre (comment la justice internationale ?).

 

LES ENJEUX DE LA JUSTICE INTERNATIONALE

 

A la question de savoir pourquoi la justice internationale, la réponse peut sembler simple. Il s’agit de mettre fin aux conflits qui peuvent survenir entre les sujets de la société internationale, autrement dit, de promouvoir la paix et la sécurité internationales par le droit (A). Or, à l’observation, on relève un certain nombre d’insuffisances inhérentes à la justice internationale et qui remettent en cause la dite finalité (B).

 

La justice internationale : un nouveau moyen de règlement pacifique des différends

 

Le droit international a précédé l’apparition des juridictions internationales. En effet, on situe la naissance du droit international à partir de 1648, avec la naissance des Etats à la suite des accords de Westphalie qui mettent fin à la guerre de trente ans (1618-1648). Or, pendant longtemps, le droit international fut un droit dont l’observation reposait exclusivement sur la parole donnée (pacta sunt servanda). Les différends entre Etats, quelle qu’en soit la nature, se réglaient ainsi, soit par la négociation, soit par la guerre dans la mesure où, en vertu de la souveraineté, il n’était pas possible d’imaginer une instance extérieure à l’Etat lui imposer la conduite à tenir. Le XIXe siècle va cependant bouleverser l’ordre des choses, notamment à travers le développement de l’arbitrage inter-étatique, première forme de justice à l’échelle internationale. Les premiers arbitrages furent ainsi le fait de chefs d’Etat appelés à se prononcer à titre personnel. Puis l’arbitrage s’institutionnalisa et la convention de La Haye établit en 1889 la Cour permanente d’arbitrage (CPA). La CPA a rendu une quinzaine de sentences avant la première guerre mondiale, avant d’entrer dans une phase de léthargie.

A l’issue de cette guerre, la Société des Nations et la Cour permanente de justice internationale furent créées. L’une et l’autre étaient mises au service de la paix qui devait être assurée par le respect du droit. Désormais, les différends juridiques entre les Etats pouvaient être soumis à des juges constituant une véritable cour permanente à compétence générale et à vocation universelle.

L’édifice ainsi mis sur pied fut revu au lendemain de la seconde guerre mondiale et l’Organisation des Nations Unies se substitua à la Société des Nations. Un pas décisif fut alors franchi en droit puisque la Charte mit la guerre hors la loi. Elle condamna en effet le recours à la force, sauf cas de légitime défense. Par voie de conséquence, elle rendit obligatoire le règlement pacifique des différends (articles 2 § 3 de la Charte des Nations Unies), notamment par la voie de l’arbitrage ou du le règlement judiciaire (article 33 § 1 de la Charte). Ainsi, dans ce sens, lorsque l’on parcourt le Statut de la Cour internationale de Justice, on voit bien qu’à l’article 38 la Cour reçoit la mission statutaire de régler, conformément au droit international, les différends qui lui sont soumis. Mais la particularité ici est qu’elle le fait sur la base exclusive du droit international ou de l’équité.

En somme, la justice internationale a été établie en vue de régler les différends internationaux par le recours à des tiers neutres et impartiaux (juges et arbitres), qui appliquent le droit international. Or, aujourd’hui, cette vision est de plus en plus contestée.

 

Les insuffisances de la justice internationale

 

La justice internationale fait l’objet aujourd’hui de nombreuses critiques. Deux principales raisons expliquent cela : d’une part, les recours sont facultatifs, d’autre part, les décisions qui en découlent, si elles sont obligatoires, ne sont pas exécutoires.

La justice internationale : une justice facultative

S’agissant du caractère facultatif de la justice internationale, il est la résultante même de la souveraineté des Etats. En effet, en vertu de la souveraineté, un Etat ne peut être attrait devant les juridictions internationales sans son consentement. Ce consentement doit s’exprimer, soit avant la naissance du litige, soit après la naissance de celui-ci. Ainsi donc, quand bien même un conflit aurait éclaté, il est possible pour l’un des belligérants d’échapper à la justice internationale s’il ne reconnaît pas la compétence des juridictions établies. Une implication de ce mécanisme volontariste est que l’Etat, qui au préalable a reconnu unilatéralement la compétence d’une juridiction internationale, conserve la latitude de faire marche arrière. C’est ainsi que les Etats-Unis, après qu’ils aient été condamnés par la CIJ dans l’affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, ont retiré leur souscription à la clause facultative de juridiction obligatoire.

Les décisions de justice internationale ne sont pas exécutoires

Les décisions de justice, sur le plan international, sont obligatoires et non exécutoires. Cela signifie qu’un Etat, quand bien même il ne peut se soustraire à une décision internationale, il ne peut également être l’objet de mesures d’exécutions forcées en vertu de sa souveraineté. Le fragile mécanisme prévu à l’article 94 § 2 de la Charte des Nations Unies n’a jamais été mis en œuvre. En vertu de cette disposition, « si une partie à un litige ne satisfait pas aux obligations qui lui incombent en vertu d’un arrêt rendu par la Cour, l’autre partie peut recourir au Conseil de sécurité et celui-ci, s’il le juge nécessaire, peut faire des recommandations ou décider des mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt ». Cet article n’implique pas systématiquement le recours à la force, mais confère plutôt au Conseil de sécurité un pouvoir d’appréciation. Or, le Conseil est un organe politique où l’action des Etats est d’abord commandée par leurs intérêts.

On pourrait également ajouter ici la critique de plus en plus récurrente qui est celle de l’émergence d’une justice au service des vainqueurs, notamment les grandes puissances, comme semble l’attester la création des tribunaux pénaux internationaux et de la CPI. Mais cela reste tout un débat.

 

LES MODALITES DE MISE EN ŒUVRE DE LA JUSTICE INTERNATIONA-LE : LA CREATION DES JURIDICTIONS INTERNATIONALES

 

Nous procèderons ici, d’abord à une étude globale des juridictions internationales, dont la caractéristique majeure au XXIe siècle est leur prolifération (A), avant d’opérer une analyse spécifiques de deux juridictions, qui peuvent être considérées aujourd’hui comme les plus en vue (B).

 

La prolifération des juridictions internationales

 

Nous tenterons dans un premier temps d’opérer une classification des juridictions internationales (1), avant de voir quels sont les rapports qui existent entre celles-ci (2).

Tentative de classification des juridictions internationales

Les juridictions internationales peuvent être classées suivant plusieurs critères. Nous retiendrons ici le critère de la compétence territoriale dans un premier temps, et le critère de la compétence matérielle dans un second temps.

Sur le plan de la compétence territoriale, on distingue les juridictions à vocation universelle des juridictions à vocation régionale ou sous-régionale. Ainsi, s’agissant des juridictions à vocation universelle, c’est-à-dire celles qui peuvent être saisies par tous les Etats de la planète, biensûr sous réserve de l’expression préalable du consentement, on cite la Cour internationale de Justice, la Cour pénale internationale, le Tribunal international du droit de la mer ou encore l’Organe de règlement des différends de l’OMC. En ce concerne les juridictions à vocation régionale ou sous-régionale, leur compétence est limitée à la région ou à la sous région concernée. On citera par exemple ici la Cour de justice de l’Union Africaine (qui n’est pas encore effective), dans le cadre de l’Afrique, ou encore la Cour de justice de la CEMAC dans le cadre de l’Afrique centrale, la Cour de justice des communautés européennes dans le cadre de l’Union Européenne, la Cour  interaméricaine des droits de l’homme dans le cadre du continent américain.

Sur le plan de la compétence matérielle, c’est-à-dire l’objet pour lequel la juridiction en question peut être saisie, on distingue les juridictions à compétence générale qui peuvent être saisies pour tous les types de différends d’ordre juridique (la CIJ) des juridictions à compétence spécialisée, c’est-à-dire limitée à un objet bien précisé. C’est le cas du Tribunal international pour le droit de la mer qui n’est compétent que pour les questions liées au droit de la mer, ou encore la Cour européenne des droits de l’homme qui ne peut être saisie que pour des questions ayant trait aux droits humains.

Or, cette prolifération de juridictions internationales pose un problème quant à leurs rapports.

Les rapports entre les juridictions internationales

Qui dit rapports entre juridictions internationales pose le problème de leur hiérarchie. En effet, lorsque l’on se réfère au modèle étatique, l’on observe bien l’existence de juridictions d’instance, d’appel et de cassation, l’idée étant que la juridiction supérieure peut remettre en cause la décision d’une juridiction inférieure. Ce qui n’est pas le cas sur le plan international. Ici, aucune juridiction n’est supérieure à l’autre, c’est le principe de l’autonomie des juridictions. Même la CIJ, dont la compétence est universelle et générale n’est ni supérieure ni prioritaire par rapport aux juridictions régionales ou à compétence spécialisée et ne peut donc pas remettre en cause leurs décisions. Deux problèmes se posent ainsi ici : le risque de chevauchement de compétences et le risque de contrariété des jugements.

Quelques solutions ont été proposées à ce sujet, mais qui restent encore dans l’ordre de la spéculation : d’une part, que la CIJ soit établie comme un second degré de juridiction, ce qui lui permettrait de connaître des recours portés contre les décisions rendues par les autres juridictions. D’autre part, que les questions susceptibles de donner lieu à des décisions contradictoires peuvent être soumises à la CIJ sous la forme de questions préjudicielles.

 

Etude d’une juridiction internationale spécifique : la CIJ

 

La CIJ est considérée comme la juridiction internationale par excellence. Conformément à l’article 92 de la Charte, la CIJ constitue l’organe judiciaire principal des Nations, ce qui lui confère un rôle important dans le règlement des litiges internationaux.

L’organisation et le fonctionnement de la CIJ sont aménagés par trois textes majeurs : la Charte des Nations Unies, le Statut de la Cour et son règlement de procédure.

Organisation de la Cour

La Courcomprend un organe judiciaire et un organe administratif. L’organe judiciaire est composé des juges. Il y a tout d’abord les juges permanents. Ils sont au nombre de quinze et sont élus par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité pour un mandat de neuf ans. Il y a ensuite les juges ad hoc qui sont désignés pour chaque affaire par l’Etat qui ne possède pas de juge de sa nationalité au sein de la Cour.

L’organe administratif de la Cour est le greffe. A sa tête se trouve un greffier et un greffier adjoint. Leurs principales missions consistent à recevoir les requêtes des parties, leur communiquer toute information relative à des affaires les concernant, à co-signer les décisions avec le Président de la Cour et à élaborer le budget de la Cour.

Fonctions de la Cour

La CIJ a deux fonctions : une fonction contentieuse et une fonction consultative.

La fonction contentieuse consiste à trancher les litiges qui lui sont soumis. Le contentieux devant la CIJ ne concerne que les Etats (article 34 du Statut) et s’étend à toutes les affaires que les parties décident de lui soumettre (article 36 du Statut).

La compétence de la Cour n’est pas obligatoire. Elle suppose le consentement de l’Etat, qui peut l’exprimer selon quatre modalités : la clause compromissoire et le compromis (article 36 § 1 du Statut), la clause facultative de juridiction obligatoire (article 36 § 2) et l’acceptation non formaliste de la juridiction de la Cour ou forum prorogatum (affaire du détroit de Corfou, arrêt du 25 mars 1948 sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête).

Une fois que la compétence de la Cour est établie, le procès proprement dit peut s’ouvrir. La procédure est d’abord écrite, puis orale. C’est la procédure normale. Cependant, il peut arriver que celle-ci soit émaillée d’incidents : soulèvement d’exceptions préliminaires, défaut d’une partie, demande de mesures conservatoires, jonction d’instances, intervention d’une tierce partie.

La décision de la Cour n’est obligatoire que pour les parties en litige et dans le cas qui a été décidé (principe res inter alios judicata, prévu à l’article 59 du Statut de la Cour). En cas d’inexécution de la décision de la Cour, la partie qui a eu gain de cause peut saisir le Conseil de sécurité (article 94 § 2 de la Charte), ce qui ne signifie pas pour autant que celui-ci va recourir à la force pour mettre en œuvre la décision en cause. Dans tous les cas, l’histoire nous enseigne qu’à aucun moment le Conseil n’a été saisi à cet effet.

La fonction consultative consiste pour la Cour à rendre des avis consultatifs à la demande des organes des Nations Unies (article 65 du Statut). Les avis consultatifs n’ont pas de force obligatoire.

O. SAMYN, P. SIMONETTA, C. SOGNO, Dictionnaire des termes juridiques, Paris, éditions de Vecchi, 1986, p. 1999.

Patrick DAILLIER et Alain PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 7e édition, 2002, p. 863.

Ce fut également le cas de la France après sa condamnation dans l’affaire des essais nucléaires en 1974.

Ainsi a-t-on vu le Chili et l’Union européenne prêts à saisir l’un le Tribunal du droit de la mer et l’autre l’Organisation mondiale du commerce d’un différend les opposant sur la pêche à l’espadon.

Ainsi dans l’affaire Tadic, le Tribunal Pénal International pour l’ex.Yougoslavie a en 1999, adopté des positions diamétralement opposées à celles retenues par la Cour internationale de justice quelques années auparavant dans une affaire opposant le Nicaragua aux Etats-Unis, pour ce qui est des responsabilités encourues par un Etat qui intervient dans une guerre civile sur le territoire d’un autre Etat.

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21 novembre 2010 7 21 /11 /novembre /2010 23:37

 

Lorsqu’on évoque la thématique de la justice pénale internationale, il s’agit de la répression, à l’échelle internationale, des crimes les plus graves. Une telle thématique, qui est le reflet de l’avènement ou tout au moins de la tendance vers une communauté internationale, peut être étudiée sous un double prisme, à savoir sous un prisme exclusivement juridique, mais également sous un angle politique. C’est sous le prisme du droit que se pose le problème des règles de compétence en matière de justice pénale internationale, autrement dit des conditions dans lesquelles une juridiction peut être saisie d’une affaire à caractère pénal. C’est sur lesdites règles de droit que nous nous appesantirons exclusivement dans la présente réflexion. Dans une approche essentiellement pédagogique, nous montrerons que la justice pénale internationale peut relever autant de la compétence des juridictions nationales que des juridictions internationales.


La compétence internationale des juridictions nationales en matière pénale


Les juridictions nationales sont pénalement compétentes, en matière internationale, sur la base de quatre règles de compétence.

La compétence territoriale

Dans ce cas d’espèce, la juridiction nationale est compétente parce que l’infraction a été commise sur son territoire, quelle que soit la nationalité de l’auteur ou de la victime.

La compétence personnelle

Elle a deux variantes :

La compétence personnelle active : ici, la juridiction nationale est compétente lorsque l’auteur de l’infraction, bien qu’elle est ait été commise à l’étranger, est un national.

La compétence personnelle passive : la juridiction nationale est compétente lorsque la victime de l’infraction, bien que commise à l’étranger, est un national. C’est en vertu de ce mode de compétence que la justice française s’est déclarée compétente pour juger un certain nombre de hauts responsables rwandais (à la suite de l’attentat du 6 avril 1994 contre les Présidents rwandais et burundais) et sénégalais (à la suite du naufrage du Joola) dans la mesure où certaines des victimes étaient de nationalité française.

La compétence réelle

Par la compétence réelle, la juridiction nationale est compétente lorsqu’il est porté atteinte à des intérêts nationaux depuis un territoire étranger (fabrication de la fausse monnaie locale, atteinte à la sûreté de l’Etat, etc.).

La compétence universelle

Elle a deux variantes :                                                                                                

La compétence universelle absolue : ici la juridiction nationale est compétente quel que soit le lieu de commission de l’infraction ou la nationalité de l’auteur ou de la victime. Ce type de compétence, prévu par les conventions de Genève de 1989 et la convention contre la torture de 1984 est difficilement envisageable.

La compétence universelle territorialisée : ici, la juridiction nationale est compétente pour les crimes commis à l’étranger, même si la victime ou l’auteur ne sont pas de sa nationalité, à condition que ce dernier soit arrêté sur son territoire. Cette variante de la compétence universelle justifie le procès contre Hissène Habré, ancien Président de la République du Tchad, au Sénégal.

Ce qu’il faut retenir, pour terminer, c’est que ces différentes compétences ne sont pas exclusives les unes des autres et peuvent être cumulées dans un même ordre juridique. Toutefois, elles ne s’exercent pas à l’égard des personnes qui jouissent des immunités diplomatiques (Chef de l’Etat, ministre des affaires étrangères, diplomates).


La compétence internationale des juridictions internationales en matière pénale


En matière internationale, on distingue les juridictions internationales ad hoc de la juridiction permanente (CPI).

Les juridictions pénales internationales ad hoc

On parle de juridictions pénales internationales ad hoc pour désigner les tribunaux internationaux dont la compétence est limitée aussi bien dans le temps que dans l’espace. Elle est limitée dans le temps dans la mesure où elle s’étend sur une période de temps clairement délimitée. Elle est limitée dans l’espace dans la mesure où elle ne concerne que des crimes commis sur des espaces territoriaux bien définis. Ces juridictions ont une compétence prioritaire sur celle des Etats, ce qui signifie qu’en cas de conflit de compétences entre les juridictions nationales et les Juridictions pénales internationales ad hoc sur des cas identiques, c’est la compétence de ces derniers qui prime.

Les juridictions pénales internationales ad hoc sont nombreuses. On peut citer le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le Tribunal spécial pour la Sierra Léone (TSSL), le Tribunal spécial pour le Cambodge et le Tribunal spécial pour le Liban. Toutefois, nous ne nous attarderons que sur les deux premières qui sont les plus en vue.

Le TPIY a été établi le 25 mai 1993 par le Conseil de sécurité des Nations Unies agissant au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies en vue de réprimer les violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991. Le TPIR en revanche a été mis en place par le Conseil de sécurité le 8 novembre 1994, en réaction aux actes de génocide et de violations massives du droit international humanitaires perpétrés sur le territoire du Rwanda et les Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.

La juridiction pénale internationale permanente : la CPI

La CPI est une juridiction permanente en ce sens que sa compétence n’est pas limitée dans le temps dès lors que son Statut, adopté le 17 juillet 1998, est entré en vigueur (le 1er juillet 2002). En outre, la compétence de la CPI n’est pas limitée dans l’espace et son Statut s’applique à tous les Etats dès lors que ceux-ci le ratifient ou y adhèrent.

Toutefois, la CPI a une compétence complémentaire à celle des Etats (article 1er), ce qui signifie qu’en cas de conflit de compétences entre la CPI et la juridiction d’un Etat, la seconde prime, la CPI n’étant compétente que si l’Etat ne veut pas ou ne peut pas juger les auteurs de crimes relevant de sa compétence.

Les crimes relevant de la compétence de la CPI sont le crime de génocide, le crime contre l’humanité, le crime de guerre et le crime d’agression (article 5). Les poursuites devant la CPI peuvent être engagées, soit par un Etat partie, soit par le Conseil de sécurité des Nations Unies, soit par le Procureur (article 13). Toutefois, en vertu de la mission que lui confère le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité peut suspendre des poursuites engagées par la CPI (article 16).

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19 novembre 2010 5 19 /11 /novembre /2010 20:23

Je mets à votre disposition un résumé de mon article intitulé "les implications juridiques du mouvement constitutionnel du 18 janvier 1996 en matière d'environnement au Cameroun" publié dans le N°2009-4 de la Revue juridique de l'environnement (pp.421-433).La RJE est la plus grande revue scientifique française en matière de droit de l'environnement et est hébergée par la Société française de droit de l'environnement (SFDE).Bien vouloir me contacter au cas où vous voulez avoir accès à l'article dans son entier.

 

 

Résumé : La constitutionnalisation du phénomène environnemental au Cameroun ne s’est pas faite en marge des grandes orientations définies à l’échelle internationale. Par la révision constitutionnelle du 18 janvier 1996 en effet, le constituant camerounais a fait de l’environnement un droit fondamental de l’homme dont la mise en œuvre suppose l’action concertée de tous les acteurs économiques et sociaux. Cependant, il n’en demeure pas moins que le contenu dudit droit reste marqué d’un anthropocentrisme étriqué que dix années d’activités législatives et réglementaires n’ont pas suffi à dépasser ; preuve que la protection de l’environnement va au-delà de considérations purement juridiques.

 

 

Summary : The constitutionalisation of the environmental phenomenon in Cameroon was done following the orientations which are defined at the international level. Following the constitutional revision of January 18, 1996, the Cameroonian constituant made environmental protection a fundamental human right whose implementation requires the concerted action of all the economical and social actors. Nevertheless, the protection of the said law is marked by the fact that human beings are at the center of protection. The legislative and regulatory activities for the past ten years have not proven the contrary. This is proof of the fact that environmental protection goes beyond purely juridical considerations.

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24 septembre 2010 5 24 /09 /septembre /2010 14:17

Au-delà de sa perception simpliste et simplificatrice, cette étude pose une problématique plus subtile : peut-on identifier un corpus juridique, de caractère international, dont la provenance, autant que les préoccupations sont inhérentes à l’Afrique ? Ceci dit, la réflexion que j’entends mener est intéressante à deux titres au moins. D’une part, elle permet de problématiser la capacité des africains à trouver des solutions juridiques originales aux problèmes de l’Afrique et du monde et, d’autre part, d’opérationnaliser l’énorme potentiel africain dans un secteur qui contribue à façonner la scène mondiale, à savoir le droit international. Dans les développements qui suivent, je m’attèlerai donc à montrer que l’Afrique a contribué à l’évolution du droit international tant au niveau de ses sources que de son objet.

Le rôle de l’Afrique dans l’évolution des sources du droit international

La notion de source renvoie à une double réalité en droit international. En premier lieu, il y a les sources matérielles, qui répondent à la question de la raison d’être du droit international (pourquoi le droit international ?). En second lieu, il y a les sources formelles qui, elles, s’intéressent à la problématique des modalités d’établissement et de constatation de ce droit (comment le droit international). Qu’il s’agisse de la première ou de la seconde perception de la notion de source, on verra bien qu’il est loisible d’identifier les sources d’un droit international africain.

Sur le premier point, à savoir les sources matérielles du droit international, certes la discipline est née à un moment où l’Afrique n’avait pas encore une existence juridique en tant que telle et de ce point de vue n’avait pas voix au chapitre. Dans cette perspective, le droit international était donc un droit essentiellement, sinon exclusivement européen mais, selon les convenances de l’époque, il n’en demeurait pas moins du droit international. Or, avec la fin de la domination coloniale et l’accession à l’indépendance aidant, les pays africains vont initier un double mouvement qui vise à reconfigurer le droit international : il s’agit d’abord de contester un ordre juridique international façonné en leur absence (et donc bien évidemment ignorant de leurs intérêts et préoccupations) et, ensuite, de revendiquer un nouvel ordre juridique international. Et ce mouvement de revendication ne s’est pas calfeutré sur le terrain des incantations. En effet, en reproblématisant la raison d’être du droit international (le pourquoi du  droit international), les Etats africains ont contribué à imposer de nouvelles thématiques dans l’agenda international et qui ont été prises en compte par la communauté internationale. Ainsi donc, si le droit international vise à conduire les Etats au firmament de la paix et du bien être, pouvait-on conclure, au moment de l’accession des Etats africains à l’indépendance, que tel était effectivement le cas ? L’une des plus grandes contributions des Etats africains aura donc été de remettre au goût du jour les préoccupations économiques et de bien être partagé au centre du débat international. C’est dans ce sens que les Nations Unies vont adopter une déclaration faisant de la décennie 1970 la décennie du développement, reconnaissant par là l’importance que cette question devait occuper sur la scène internationale et précisément en droit international. On comprend donc pourquoi, comme nous ne le verrons un peu plus loin, un grand nombre de textes à vocation économique seront adoptés dans la mouvance de cette déclaration. En un mot, nous voulons dire ici que la contribution des africains aura été de faire des questions de développement une préoccupation au centre de l’élaboration du droit international.

En revanche, au chapitre des sources formelles du droit international (que l’on peut identifier de prime abord à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice), on pourrait conclure que l’Afrique n’a pas apporté grand-chose tant lesdites sources n’ont pas beaucoup évolué depuis l’arrêt de la CIJ dans l’affaire des essais nucléaires. Une telle conclusion serait toutefois hâtive. En effet, la contribution de l’Afrique sur ce terrain pourrait être rangée à un double niveau.

Tout d’abord, le continent africain a contribué à donner une nouvelle perspective à la coutume internationale dans les relations internationales, faisant émerger ce que René-Jean Dupuy a appelé « coutume sauvage », par opposition à la « coutume sage ». Ainsi, par leur attitude, les Etats africains nous enseignent qu’à défaut de faire bouger les lignes rigides du droit conventionnel, il est possible de faire évoluer le droit international plus rapidement par le biais de la coutume internationale, une coutume internationale où l’élément psychologique (l’opinio juris) précède l’élément matériel (la consuetudo) ; autrement dit, la conviction que l’on agit conformément au droit précède la consolidation de la pratique dans le temps et dans l’espace. Ainsi donc, la coutume internationale peut émerger dans un laps de temps réduit, dès lors que la pratique convergente des Etats, quand bien elle n’est pas encore consolidée dans le temps et dans l’espace, a pour soubassement la conviction que l’on agit conformément au droit, comme la jurisprudence internationale, semble-t-il, l’a légitimé dans l’affaire du plateau continental Tunisie-Libye.

En outre, à défaut de faire consacrer leurs revendications directement dans un cadre conventionnel, les Etats africains ont contribué à revaloriser le droit résolutoire et déclaratoire sur la scène internationale. Pour cela, ils ont choisi la voie des organisations internationales où ils disposent de la majorité élective. C’est en procédant par cette voie qu’ont été adoptés, par l’Assemblée générale des Nations Unies, parfois contre la volonté des pays occidentaux, un certain nombre de textes internationaux d’envergure. Il s’agit par exemple de la déclaration sur la souveraineté permanente des Etats sur leurs ressources naturelles du 14 décembre 1962, la déclaration relative à un nouvel ordre économique international 1er mai 1974, la charte des droits et devoirs économiques des Etats du 12 décembre 1974 ou encore la déclaration sur le droit au développement du 4 décembre 1986. Certains de ces textes seront d’ailleurs consacrés au niveau conventionnel quelques années plus tard.

Le rôle de l’Afrique dans l’évolution de l’objet du droit international : l’émergence du droit international africain

En ce qui concerne l’objet du droit international, il s’agit de s’attarder sur le contenu matériel et concret dudit droit. Il est évident, sur ce point, que parler de droit international africain suppose que celui-ci porte principalement sur des préoccupations africaines, quand bien même ces préoccupations, à quelques moments irradient la scène mondiale. En effet, qui mieux que les africains peut penser les problèmes de l’Afrique et y trouver des solutions, y compris au plan juridique. Ainsi donc, le droit international africain vise à identifier les problèmes africains et à y proposer des solutions africaines, de même qu’il vise à apporter la touche africaine à la résolution des grands problèmes qui affectent la planète dans sa globalité.

A ce titre, sur un plan proprement africain, il est remarquable de relever que les Etats africains, ayant pleinement pris conscience des problèmes liés à l’implantation de la démocratie sur le continent, ont décidé d’attaquer le problème de front en adoptant un ensemble de textes de portée contraignante, destinés à faciliter son implantation sur le continent. On peut citer à cet effet la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance du 30 janvier 2007 qui, entre autres objectifs, vise à « promouvoir l’adhésion de chaque Etat partie aux valeurs et principes universels de la démocratie et le respect des droits de l’homme » (article 2) ou encore l’inscription, dans l’acte constitutif de l’Union africaine, d’un principe de la « condamnation et du rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement » (article 4 alinéa p). On peut également faire référence à la Charte africaine de la jeunesse, premier texte international de portée juridique consacrée exclusivement à cette catégorie sociale, qui reconnaît dans son préambule que « la jeunesse représente un partenaire et un atout incontournable pour le développement durable, la paix et la prospérité de l’Afrique avec une contribution unique à faire au développement présent et futur ». On pourrait également citer dans la même lancée des textes consacrés spécifiquement aux préoccupations africaines : la convention OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique du 3 juillet 1977, la Charte de la renaissance culturelle africaine du 24 janvier 2006 ; autant de textes qui attestent de la volonté des Etats africains de mobiliser et de façonner l’outil juridique afin d’affronter les problèmes qui leur sont propres.

D’un autre côté, on souligne que l’Afrique a également apporté sa contribution à l’évolution du droit international mondial d’un point de vue substantiel. Quelques exemples suffiront pour s’en convaincre. Alors que le concept de ressources naturelles est omniprésent dans le débat international, notamment dans le contexte actuel où la planète milite en faveur de leur conservation, aucune source de droit à vocation universelle n’en propose une définition. Il faut, pour cela, se référer à la convention africaine sur la protection de la nature et des ressources naturelles du 11 juillet 2003 pour en avoir une définition précise. Ainsi, conformément à l’article V de ce texte, les ressources naturelles sont des « ressources naturelles renouvelables, tangibles et non tangibles, notamment les sols, les eaux, la flore et la faune, ainsi que les ressources non renouvelables ». De même, c’est dans le droit africain que l’on retrouve la définition la plus commode du réfugié dans le contexte international actuel. Celui-ci n’est plus seulement l’individu qui quitte son territoire national pour fuir des persécutions dont il fait l’objet en raison de ses convictions politiques, philosophiques ou religieuses (Convention des Nations Unies sur le statut des réfugiés et apatrides du 28 juillet 1951), mais également « toute personne qui, du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité » (article I alinéa 2 de la convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique). Ainsi peut-on constater que des pays comme les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne ont accordé et continuent d’accorder refuge à des étrangers tout simplement en raison d’un conflit qui se déroule dans leur pays d’origine (Afghanistan, Irak) alors qu’ils ne sont pas liés par les dispositions de la convention OUA. N’est-ce tout simplement pas là l’aveu d’un anachronisme de la Convention ONU de 1951 et le triomphe de la vision africaine sur la question des réfugiés à l’échelle mondiale ?

Je citerai enfin la convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique du 22 octobre 2009 (convention de Kampala) qui est le seul instrument de valeur contraignante consacrée à cette catégorie de personnes vulnérables à l’échelle internationale. Conformément à son article 2, elle se donne ainsi pour objectif de « promouvoir et renforcer les mesures régionales et nationales destinées à prévenir ou atténuer, interdire et éliminer les causes premières du déplacement interne, et prévoir des solutions durables ». En ce sens, elle pourrait constituer une base de discussion en vue de l’adoption d’une convention similaire à l’échelle mondiale, tant il est vrai que le problème des déplacés ne se pose pas seulement en Afrique.

En somme, il apparaît au regard des développements qui précèdent que l’Afrique a son mot à dire dans l’évolution du droit international. De ce point de vue, à la question que se pose Maurice Flory, à savoir « le droit international est-il européen ? », la réponse devient évidente.

Le droit international naît avec les traités de Westphalie de 1648 qui mettent fin à la guerre de trente ans et qui constituent l’acte de naissance de l’Etat moderne et souverain. Le droit international a cette époque est donc exclusivement un droit interétatique.

Il s’agit des traités, de la coutume internationale, des principes généraux de droit, des décisions judiciaires, de la doctrine et de l’équité.

Dans cette affaire, la Cour indique que les actes unilatéraux des Etats et des organisations internationales doivent également être considérés comme des sources formelles du droit international.

CIJ, affaire du plateau continental Tunisie-Libye, Rec., pp. 47-48.

Maurice Flory, « Le droit international est-il européen ? » in RCADI, L’avenir du droit international dans un monde multiculturel, colloque de 1983, Martinus Nijhoff Publishers, La Haye/Boston/Londres, 1984, pp. 287-297.

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10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 18:29

Cet arrêt porte sur un cas inédit dans les relations internationales, à savoir la prise en otage du personnel diplomatique et consulaire, qui plus est des Etats-Unis, par des ressortissants de l’Etat accréditaire (Iran), dans l’indifférence des autorités locales qui, pourtant, avaient été averties des risques d’attaques qui pesaient sur la mission diplomatique. Face à cette violation flagrante du droit international et particulièrement du droit diplomatique et consulaire, les Etats-Unis ont décidé de soumettre l’affaire à la Cour internationale de Justice (CIJ). Voici la quintessence de l’arrêt rendu le 24 mai 1980 qui, il faut le préciser, succède à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la même juridiction le 15 décembre 1979 en la même affaire.

Questions de procédure

Les bases de compétence invoquées par les Etats-Unis et les objections iraniennes

Les Etats-Unis ont saisi la CIJ par une requête introductive d’instance sur la base de l’article 36, § 1 du Statut de la Cour. Conformément à ce texte, « la compétence de la Cour s’étend à toutes les affaires que les parties lui soumettront, ainsi qu’à tous les cas spécialement prévus dans la Charte des Nations Unies ou dans les traités et conventions en vigueur ». Ainsi, à la lumière des dispositions finales de ce paragraphe, les Etats-Unis se réfèrent à :

L’article I du protocole de signature facultative des conventions de Vienne de 1961 et de 1963 portant respectivement sur les relations diplomatiques et consulaires.

L’article XXI, paragraphe 2 du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 entre les Etats-Unis et l’Iran.

L’article 13 de la convention de 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale, y compris les agents diplomatiques.

L’ensemble de ces dispositions visent à conférer compétence à la CIJ en cas de désaccord quant à l’interprétation ou l’application de la convention indiquée, dans la mesure où les parties ne parviennent pas à le résoudre par d’autres moyens pacifiques.

S’agissant de l’Etat iranien en revanche, il s’est refusé de comparaître devant la Cour de La Haye et s’est contenté de communiquer avec celle-ci par la transmission de deux lettres (en date du 9 décembre 1979 et du 16 mars 1980) qui exposaient la position du Gouvernement de la République islamique d’Iran à l’égard de la requête américaine. Il s’agissait, en clair, d’objecter la compétence de la Cour. En effet, pour les autorités iraniennes, « la Cour ne peut et ne doit se saisir de l’affaire qui lui est soumise par le Gouvernement d’Amérique » car elle « ne représente qu’un élément marginal et secondaire d’un problème d’ensemble dont elle ne saurait être étudiée séparément et qui englobe entre autres plus de vingt-cinq ans d’ingérences continuelles par les Etats-Unis dans les affaires intérieures de l’Iran, d’exploitation éhontée de notre pays et de multiples crimes perpétrés contre le peuple iranien, envers et contre toutes les normes internationales humanitaires (…) En conséquence, la Cour ne peut examiner la requête américaine en dehors de son vrai contexte à savoir l’ensemble du dossier politique des relations entre l’Iran et les Etats-Unis au cours de ces vingt-cinq années ».

La Cour est bien compétente

En dépit de la non-comparution de l’Iran à l’instance, la Cour a estimé que ce fait ne constituait pas un obstacle diriment à l’examen de l’affaire qui lui a été soumise. En effet, la non-comparution d’une partie à l’instance ne constitue pas un obstacle en tant que tel à la compétence de la Cour.

Toutefois, en vertu de l’article 53 du Statut de la Cour :

Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’abstient de faire valoir ses moyens, l’autre partie peut demander à la Cour de lui adjuger ses conclusions.

La Cour, avant d’y faire droit, doit s’assurer non seulement qu’elle a compétence aux termes des articles 36 et 37, mais que les conclusions sont fondées en fait et en droit.

Sur la base donc de cette prescription, la Cour s’est attelée à examiner sa compétence au regard des articles susmentionnés. Non seulement elle établit qu’elle est compétente sur la base de l’article 36, en vertu des conventions auxquelles les Etats-Unis se sont référées, mais elle précise également, afin de réfuter l’argument soulevé par les autorités iraniennes, que le fait qu’un différend juridique constitue un aspect d’un différend politique plus vaste n’empêche pas que celui-ci soit soumis et examiné par la Cour (§ 37 in fine). La Cour s’offre en outre le loisir de rappeler, comme elle l’avait déjà fait dans l’affaire du plateau continental de la Mer Egée (arrêt du 19 décembre 1978), que le fait que des négociations se poursuivent au sujet de l’affaire qui lui est soumise ne constitue pas un obstacle à l’exercice de sa fonction judiciaire (§ 43).

Analyse du fond de l’affaire

Le traitement du fond de l’arrêt se fera au travers d’un double questionnement dont la réponse conditionne le jugement final de la Cour.

Les comportements incriminés par les Etats-Unis peuvent-ils être considérés comme juridiquement imputables à l’Etat iranien ?

Les conventions invoquées par les Etats-Unis dans la présente affaire établissent des obligations d’Etat à Etat et non directement vis-à-vis d’individus. Or, en l’espèce, ces faits ont été posés par un groupe de manifestants iraniens, qui se sont qualifiés eux-mêmes d’« étudiants musulmans partisans de la politique de l’iman ».  L’enjeu dans la présente affaire était donc d’établir si les comportements perpétrés par des individus pouvaient être imputables à leur Etat de rattachement. Sur ce point, si la Cour relève « le caractère initialement indépendant et non officiel de l’attaque de l’ambassade par les militants » (§ 59 in fine), elle conclut que « l’ayatollah Khomeini et d’autres organes de l’Etat iranien ayant approuvé ces faits et décidé de les perpétuer, l’occupation continue de l’ambassade et la détention persistante des otages ont pris le caractère d’actes dudit Etat » (§ 74). Il ne reste plus qu’à apprécier la conformité ou non d’un tel comportement au droit international.

De tels comportements sont-ils compatibles aux obligations incombant à l’Iran en vertu des traités en vigueur ?

L’Iran, tout comme les Etats-Unis, a signé les conventions de Vienne de 1961 et de 1963. En s’abstenant d’empêcher, puis en cautionnant l’envahissement de l’ambassade américaine a Téhéran, de même que les consulats américains de Tabriz et de Chiraz, il a remis au goût du jour le débat sur les obligations de l’Etat accréditaire en droit diplomatique, de même que dans le droit international général. Dans un dictum suffisamment précis, la Cour a une fois de plus clarifié la position du droit international sur la question. Elle affirme :

En vertu de diverses dispositions des conventions de Vienne de 1961 et de 1963, l’Iran avait, en tant qu’Etat accréditaire, l’obligation la plus formelle de prendre des mesures appropriées pour protéger l’ambassade et les consulats des Etats-Unis, leur personnel, leurs archives, leurs moyens de communication et la liberté de mouvement des membres de leur personnel (§ 61 in fine).

Elle conclut ainsi que

Cette carence du Gouvernement de l’Iran constituait en tant que telle une violation grave et manifeste des obligations dont l’Iran était tenu à l’égard des Etats-Unis en vertu des dispositions de l’article 22, §2, et des articles 24, 25, 26, 27 et 29 de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques, ainsi que les articles 5 et 36 de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires (§ 67).

Si en l’espèce on peut ainsi constater la condamnation de l’Etat iranien par la juridiction mondiale, quelle leçon peut-on tirer de cette affaire du point de vue du droit international ?

Quelques leçons de l’arrêt

Le droit diplomatique et consulaire est un régime se suffisant à lui-même

En condamnant les agissements de l’Etat iranien, la Cour de La Haye, une fois de plus, consacre la responsabilité internationale de l’Etat. Toutefois, ce qui est intéressant ici c’est le fait que l’argumentaire de la Cour s’appuie entièrement sur les règles propres du droit diplomatique et consulaire qui, de ce point de vue « constituent un régime se suffisant à lui-même » (§ 86). En effet, la Cour rappelle que si les autorités de l’Etat accréditaire estiment que les membres du personnel diplomatique de l’Etat accréditant ne se conforment plus à leurs obligations découlant des conventions de Vienne, ils peuvent, en se référant à ces mêmes conventions, à tout moment et sans avoir à motiver leur décision les déclarer persona non grata, de même qu’ils conservent « le pouvoir discrétionnaire qu’a tout Etat accréditaire de rompre les relations diplomatiques avec un Etat accréditant et de demander la fermeture immédiate de la mission coupable » (§ 85). Pour la Cour, « ces moyens sont par nature d’une efficacité totale car, si l’Etat accréditant ne rappelle pas sur-le-champ le membre de la mission visée, la perspective de la perte presque immédiate de ses privilèges et immunités, du fait que l’Etat accréditaire ne le reconnaîtra plus comme membre de la mission, aura en pratique pour résultat de l’obliger, dans son propre intérêt, à partir sans tarder » (§ 86). Or, au lieu de se référer aux voies que le droit diplomatique lui ouvrait, l’Iran a cru devoir cautionner la prise en otage de personnes jouissant de l’immunité diplomatique qu’aucune circonstance ne saurait pourtant amoindrir, y compris un état de tension diplomatique entre les deux Etats (§§ 88-89).

Le droit diplomatique est un droit fondamental des relations internationales

Le droit international a pour fonction la régulation de la société internationale. Dans ce sens, chacune de ses branches joue ce rôle dans le secteur qui est le sien. Toutefois, il apparaît que de toutes ces branches du droit international, le droit diplomatique joue un rôle tout particulier dont la Cour a « fermement tenu [à] réaffirmer le caractère fondamental » (§ 91). En effet, en se référant à son ordonnance du 15 décembre 1979, la Cour a cru devoir rappeler que « dans la conduite des relations entre Etats, il n’est pas d’exigence plus fondamentale que celle de l’inviolabilité des diplomates et des ambassades et … c’est ainsi que, au long de l’histoire, des nations de toutes croyances et de toutes cultures ont observé des obligations réciproques à cet effet » (§ 91). Ainsi donc, les agissements des militants iraniens, y compris le comportement de leur Etat d’affiliation « ne peuvent que saper à la base un édifice juridique patiemment construit par l’humanité au cours des siècles et dont la sauvegarde est essentielle pour la sécurité et le bien-être d’une communauté internationale aussi complexe que celle d’aujourd’hui, qui a plus que jamais besoin du respect constant et scrupuleux des règles présidant au développement ordonné des relations entre ses membres » (§ 92).

En somme, le droit diplomatique et consulaire, en tant qu’il s’inscrit dans la perspective de la promotion de la coopération et des relations amicales entre les Etats, mérite une protection spécifique que la Cour s’est engagée à garantir.

Toutefois, s’agissant de l’article 13 de la convention de 1973 invoqué par les Etats-Unis pour fonder la compétence de la Cour, celle-ci « n’estime pas nécessaire de rechercher dans le présent arrêt si, dans les circonstances de l’espèce, l’article 13 de ladite convention peut servir de fondement à l’exercice de sa compétence pour connaître de ces demandes ».

En l’espèce, les Etats-Unis avaient également soumis la question au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il s’agit en l’occurrence de l’ayatollah Khomeini, Chah d’Iran entre 1979 et 1989.

Comme les autorités iraniennes ont d’ailleurs eu à l’affirmer dans les lettres invoquées plus haut.

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3 septembre 2010 5 03 /09 /septembre /2010 20:12

L’agent diplomatique en poste à l’étranger remplit une mission de service public pour le compte d’un Etat autre que celui sur lequel il se trouve. Pour cette raison, le droit international lui accorde un ensemble de privilèges et immunités dont le but est « non pas d’avantager les individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques en tant que représentant des Etats » (préambule de la convention de Vienne du 18 avril sur les relations diplomatiques). Toutefois, il est remarquable de constater que ces privilèges et immunités ne se limitent pas à la personne du diplomate et s’étendent aux membres de sa famille. Quelle en sont les raisons et l’étendue ? Avant de répondre à cette préoccupation, il est important d’identifier quels sont les membres de la famille de l’agent diplomatique concernés par lesdits privilèges et immunités.

 

Quels sont les membres de la famille de l’agent diplomatique qui bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques ?

En dépit de la consécration de l’article 1er aux définitions, la convention de Vienne sur les relations diplomatiques ne précise pas clairement ce qu’il faut entendre par membres de la famille de l’agent diplomatique. Toutefois, à la lecture de l’article 37 de la convention, deux conditions doivent être réunies pour que ceux-ci bénéficient des privilèges et immunités diplomatiques :

Les personnes concernées doivent faire partie du ménage de l’agent diplomatique

La notion de famille en droit diplomatique est appréciée de façon large et ne se réduit pas aux personnes absolument unies entre elles par des liens de mariage ou de filiation. En effet, ramenant les membres de la famille du diplomate aux personnes « qui font partie de son ménage », la convention de 1961 inclut toutes les personnes que celui-ci considère comme telle et qu’il héberge chez lui, quand bien même ceux-ci n’auraient pas un lien de filiation avec lui. En tout état de cause, afin d’éviter toutes sortes d’abus, la convention précise en son article 10 (1b) que l’arrivée ou le départ définitif d’une personne appartenant à la famille d’un membre de la mission, de même que le fait qu’une personne devient ou cesse d’être membre de la famille d’un membre de la mission doivent être notifiés à l’Etat accréditaire ; ce qui lui permet d’exercer sa fonction de régulation.

Les personnes concernées ne doivent pas être des ressortissants de l’Etat accréditaire

En outre, le membre de la famille du diplomate, pour bénéficier des privilèges et immunités diplomatiques, ne doivent pas être des ressortissants de l’Etat accréditaire. Seuls les ressortissants de l’Etat accréditant ou d’un Etat tiers peuvent prétendre à de tels avantages. Toutefois, contrairement aux membres de la famille du personnel administratif et technique qui ne bénéficient pas de tels avantages s’ils ont leur résidence permanente dans l’Etat accréditaire, cette dernière restriction ne concerne pas les membres de la famille de l’agent diplomatique. En d’autres termes, le fait pour le membre de la famille de l’agent diplomatique d’avoir sa résidence permanente au sein de l’Etat accréditaire n’affecte pas les avantages qu’il tire de la convention de Vienne.

Pourquoi protège – t – on les membres de la famille de l’agent diplomatique ?

L’agent diplomatique n’exerce pas ses fonctions en son nom, mais pour le compte de l’Etat qu’il représente. En ce sens, les privilèges et immunités dont il jouit ne lui appartiennent pas, mais reviennent à l’Etat dont il est le représentant et qui, seul, peut y renoncer (article 32, paragraphe 1 de la convention de Vienne). C’est dans le même sillage que l’on doit interpréter l’attribution des privilèges et immunités aux membres de sa famille. En effet, parce que le sort qui peut leur être réservé a une incidence indubitable sur l’action du diplomate, sur son équilibre psychologique et son rendement sur le plan professionnel, il était important que les membres de sa familles bénéficient également d’une protection afin d’éviter que l’Etat accréditaire ne fassent d’eux un objet de pression à l’encontre du diplomate. En d’autres termes, les membres de la famille du diplomate qui bénéficient de telles immunités ne doivent pas les considérer comme des passe-droits, mais tout simplement comme des garanties destinées à permettre au diplomate d’exercer ses fonctions en toute quiétude. Dans cette perspective, ceux-ci doivent éviter de se mettre dans des situations compromettantes qui, de toute évidence, affecteront la carrière du diplomate qui pourrait alors être déclaré persona non grata en raison des agissements inacceptables des membres de sa famille.

Quelle est l’étendue de la protection des membres de la famille de l’agent diplomatique ?

Les membres de la famille du diplomate bénéficient de la même protection que celle que le droit international accorde au diplomate. L’article 37 de la convention précise qu’ils bénéficient des privilèges et immunités mentionnés dans les articles 29 à 36 (au profit du diplomate). Il s’agit systématiquement de l’inviolabilité personnelle, l’immunité de juridiction et d’exécution, de même que les exemptions fiscales et franchises douanières.

L’inviolabilité signifie que le membre de la famille du diplomate ne peut être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention, de même que l’Etat accréditaire doit prendre toute mesure utile pour empêcher toute atteinte à sa personne, à sa liberté ou à sa dignité par des tiers.

L’immunité de juridiction signifie qu’il ne peut être jugé dans l’Etat accréditaire. Cette immunité est absolue en matière pénale et ne connaît que quelques exceptions en matière civile et administrative, en cas de procès relatif à un immeuble situé sur le territoire de l’Etat accréditaire et lui appartenant personnellement, en cas de succession ou dans le cas où il exerce une profession libérale ou commerciale. L’immunité de juridiction s’étend à l’immunité d’exécution, ce qui signifie que ses biens ne peuvent être saisis, de même qu’ils ne peuvent faire l’objet de mesures conservatoires.

En outre, à quelques exceptions près, le membre de la famille du diplomate est exonéré du paiement des impôts et de la douane dans la mesure où de tels actes s’apparentent à des actes de sujétion et d’allégeance incompatibles avec la souveraineté de l’Etat.  

Sur le plan temporel, les privilèges et immunités du membre de la famille du diplomate commencent à courir concomitamment avec celle du diplomate, à savoir dès que ce dernier pénètre sur le territoire de l’Etat accréditaire pour gagner son poste ou, s’il se trouve déjà sur ce territoire, dès que sa nomination a été notifiée à l’Etat accréditaire. Ils prennent fin au moment où ceux du diplomate prennent fin. Toutefois, « en cas de décès d’un membre de la mission, les membres de sa famille continuent de jouir des privilèges et immunités dont ils bénéficient, jusqu’à l’expiration d’un délai raisonnable leur permettant de quitter le territoire de l’Etat accréditaire » (article 39, paragraphe 3).

Sur le plan géographique, autant le membre de la famille du diplomate jouit des privilèges et immunités du diplomate sur tout le territoire de l’Etat accréditaire, autant en bénéficie – t – il dans les Etats de transit lorsqu’il voyage seul ou avec lui, afin de le rejoindre ou pour rentrer au pays. Il en est de même s’il lui arrivait de se retrouver dans un Etat tiers, en cas de force majeure (article 40, paragraphes 1 et 4).

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28 août 2010 6 28 /08 /août /2010 12:51

 

Le débat sur les immunités de l’Etat devant le prétoire étranger a pris de l’envergure en droit international ces dernières années. C’est que, face à l’interventionnisme de plus en plus croissant de l’Etat dans le secteur économique et l’implication accrue de ses plus hauts dirigeants dans des actes de violation des droits humains, la nécessité d’une réaction à l’échelle globale s’avérait nécessaire en vue de la préservation des droits des personnes privées. Il faut dire, d’entrée de jeu, que les immunités dont il est question dans cette étude s’entendent de l’immunité de juridiction et de l’immunité d’exécution. Il s’agit, pour le premier cas, du privilège par lequel un Etat échappe à la compétence des tribunaux étrangers et dans le second cas, de l’absence d’exécution forcée et de mesures conservatoires sur les biens de l’Etat. Pour Gerhard Hafner, ces immunités ont pour but « de protéger la souveraineté d’un Etat en soustrayant celui-ci à la juridiction d’un autre ; ainsi, [elles sont] la conséquence de l’absence de toute hiérarchie en droit international (…) ».

En outre, la définition de l’Etat doit être précisée en l’espèce. Traditionnellement, en droit international, l’Etat se définit comme une personne morale dotée de la personnalité juridique, et dont les éléments constitutifs sont le territoire, la population, le gouvernement et la souveraineté. Toutefois, cette définition, semble – t – il, est superficielle et la Convention des Nations Unies sur les immunités de l’Etat a cru devoir préciser en son article 2 que le terme « Etat » désigne l’Etat et ses divers organes de gouvernement, les composantes d’un Etat fédéral ou les subdivisions politiques de l’Etat, qui sont habilitées à accomplir des actes dans l’exercice de l’autorité souveraine et agissent à ce titre ; les établissements ou organismes d’Etat ou autres entités, dès lors qu’ils sont habilités à accomplir et accomplissent effectivement des actes dans l’exercice de l’autorité souveraine de l’Etat ; les représentants de l’Etat agissant à ce titre. L’Etat ici ne se limité donc pas à l’acteur public et institutionnel, mais prend également en considération les personnes physiques qui agissement en son nom et pour son compte.

Dès lors, et pour aller à l’essentiel, la question que nous nous posons est celle de savoir quel traitement le droit international réserve aux immunités traditionnellement reconnues à l’Etat dès lors que celui-ci, y compris ses représentants, se retrouvent devant le prétoire étranger ?

Pour répondre à cette question, nous reviendrons d’abord sur les sources des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger en droit international avant d’analyser leur portée juridique.


Les sources juridiques des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger en droit international


            Les immunités de l’Etat devant le prétoire étranger tirent principalement leur source, en droit international, de la coutume internationale, les conventions internationales n’y jouant qu’un rôle subsidiaire. En effet, il est de notoriété établie que « s’agissant des Etats, la matière des immunités est régie, historiquement, par des règles coutumières de droit international ». En effet, suite aux traités de Westphalie de 1648 qui mettent fin à la guerre de trente ans, la souveraineté devient le trait distinctif de l’Etat moderne sur la scène internationale. En vertu de cette souveraineté, qui confère à l’Etat « la compétence de la compétence », il va s’établir progressivement un principe selon lequel un Etat ne saurait se soumettre à la juridiction de ses pairs. C’est  ce que traduit la maxime latine « par in parem non habet juridictionem ». Cette position sera d’ailleurs reprise par la Cour internationale de Justice qui, pour condamner le mandat d’arrêt lancé par la Belgique contre Abdoulaye Ndombasi Yerodia, alors ministre des affaires étrangères de RDC au moment des faits qui lui étaient reprochés, n’a eu d’autres référents plus forts que la coutume internationale. La Haute Cour de La Haye fait en effet remarquer que « les immunités résultant du droit international coutumier, notamment celles des ministres des affaires étrangères, demeurent opposables devant les tribunaux d’un Etat étranger, même lorsque ces tribunaux exercent une compétence pénale élargie sur la base de diverses conventions internationales (…) ». Cette source coutumière a été progressivement clarifiée à travers la consécration de conventions internationales sur la question.

Les sources conventionnelles traitant de la question des immunités de l’Etat devant le for étranger ont connu une évolution relativement récente avec le phénomène de la codification. Il n’en demeure pas moins qu’elles demeurent des sources subsidiaires en la matière, le droit international coutumier en demeurant le fondement principal. Il s’agit de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens du 17 janvier 2005 et de la convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques.

La Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens est le premier texte de compromis à vocation universelle spécifiquement consacré à la question des immunités de l’Etat. Elle est l’aboutissement du travail de codification de la Commission du droit international (CDI) entamé en 1978. Conformément à ce texte, « un Etat jouit, pour lui – même et pour ses biens, de l’immunité de juridiction devant les tribunaux d’un autre Etat, sous réserve des dispositions de la présente convention » (article 5).

S’agissant de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, elle accorde à l’agent diplomatique une immunité de juridiction absolue en matière pénale, et une immunité de juridiction civile et administrative atténuée (article 31). Cette convention rentre bien dans la logique de la précédente, dans la mesure où l’agent diplomatique accrédité à l’étranger n’agit pas pour son propre compte, mais pour celui de l’Etat dont il n’est que le représentant.

Les sources juridiques des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger ayant été rapidement identifiées, il nous appartient désormais de nous appesantir sur leur portée en droit international.


La relativité des immunités de l’Etat devant le prétoire étranger en droit international


            L’idée paraît toute simple : devant le prétoire étranger, l’Etat jouit des immunités de juridiction et d’exécution. Mais les choses ne sont pas aussi simples dans la mesure où il existe des circonstances dans lesquelles celles-ci peuvent être levées. C’est que tous les actes de l’Etat ne bénéficient pas de l’immunité devant le prétoire étranger. En effet, « seules se verront accorder l’immunité les activités ‘spécifiquement publiques’, notion qui correspond approximativement à celle d’actes de puissance publique ou d’actes adoptés dans le cadre d’une mission de service publique ». En ce sens faut-il encore apprécier la teneur des actes posés par l’Etat, afin de savoir si effectivement ceux-ci peuvent être rangés au titre d’actes de puissance publique et donc couverts par l’immunité ou non. Dans un pareil scénario, on parle d’immunité relative, par opposition aux immunités absolues qui n’admettent aucune exception.

Dans tous les cas, en se référant à la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, on identifie aisément les circonstances dans lesquelles l’immunité de juridiction de l’Etat ne peut être invoquée devant le for étranger. Il s’agit des cas où l’Etat a donné son consentement à l’exercice de la juridiction d’un autre Etat ; de la participation à une procédure devant un tribunal ; des demandes reconventionnelles ; des transactions commerciales ; des contrats de travail ; des dommages aux personnes ou aux biens ; de la propriété, possession et usages de biens ; de la propriété intellectuelle ou industrielle ; de la participation à des sociétés ou autres groupements ; des navires dont un Etat est le propriétaire ou l’exploitant et d’un accord d’arbitrage (articles 7 à 17). A contrario, cela signifie que dans toutes les autres hypothèses, l’immunité de juridiction de l’Etat demeure.

En ce qui concerne l’immunité d’exécution, le texte s’inscrit également dans le registre de la protection des biens de l’Etat. Ceux-ci ne peuvent faire l’objet d’une saisie, d’une saisie-arrêt, d’une saisie-exécution que dans les hypothèses où l’Etat a explicitement consenti à l’application de telles mesures, qu’il a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l’objet de cette procédure ou qu’il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’Etat autrement qu’à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire de l’Etat du for (articles 18 à 19).

Pour Jean-Flavien Lalive, les limites à l’immunité absolue de l’Etat devant le prétoire étranger doivent être recherchées au-delà même de la volonté de la puissance publique. Pour celui-ci en effet, elles découlent du principe de justice ou de légalité. Il pense à ce titre que « c’est l’idée moderne de la sécurité juridique : l’Etat doit respecter la règle de droit, cette obligation étant assortie, dans les systèmes les plus évolués, d’un mécanisme de contrôle juridictionnel ». Pour cet auteur donc, seul le droit prime ; les immunités ne devant point s’apparenter  à un régime de non droit.

Malheureusement, dans le contexte international actuel, force est de reconnaître que l’immunité de l’Etat étranger demeure une « anomalie frappante mais inévitable d’un ordre juridique encore à demi anarchique ».

David RUZIE, Droit international public, Paris, Dalloz, 14e édition, 1999, p. 70.

Gerhard HAFNER, « L’immunité d’exécution dans le projet de convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens » in Droit des immunités et exigences du procès équitable, Paris, Pedone, 2004, p.

Isabelle PINGEL (dir.), « Introduction » in Droit des immunités et exigences du procès équitable, Paris, Pedone, 2004, p. 7.

La Cour internationale de Justice, La Haye, CIJ, 5e édition, 2004, p. 182.

Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le préambule de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats de leurs biens selon lequel « les règles du droit international coutumier continuent de régir les questions qui n’ont pas été réglées dans les dispositions de la présente Convention ».

Nous ferons abstraction ici de la convention européenne sur les immunités des Etats, adoptée le 16 mai 1972 et dont la portée opératoire est limitée aux Etats du Conseil de l’Europe ; de même que la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires dont le jeu des immunités s’inspire essentiellement de la convention de Vienne sur les immunités diplomatiques, toutefois à un degré moindre.

Patrick DAILLIER et Alain PELLET, Droit international public, Paris, LGDJ, 7e édition, 2002, p. 452.

Conformément à l’article 21 de la convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, certains biens de l’Etat, de par leur nature, bénéficient systématiquement de l’immunité de juridiction et d’exécution. Il s’agit notamment des biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires de l’Etat, des biens de caractère militaire, etc.

Jean-Flavien LALIVE, « Immunité de juridiction des Etats et organisations internationales » in RCADI, 1953 (III), p. 214.

Jean-Flavien LALIVE, Ibid., p. 290.

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